Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La Sibylle De La Révolution

La Sibylle De La Révolution

Titel: La Sibylle De La Révolution Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Nicolas Bouchard
Vom Netzwerk:
gradins.
    Il s’approcha davantage. Le
visage du mort que Fragonard n’avait pas encore écorché mais dont il avait
simplement ôté les yeux lui parut familier.
    Alors il sut.
    — Citoyen Fragonard, je suis
Gabriel-Jérôme Sénart !
    Le vieil homme leva ses yeux
clignotants sans toutefois lâcher la grosse seringue de métal qu’il tenait à la
main.
    — Ah, monsieur Sénart, j’ai
beaucoup entendu parler de vous ces jours-ci. Nous avons des amis communs,
semble-t-il.
    — Oui, comme ce malheureux
Prunelle de Lierre dont vous dépecez le cadavre en ce moment même.
    Le naturaliste renifla.
    — Malheureux ? Je vous
rappelle qu’il avait le projet de vous tuer. D’autre part, Prunelle a toujours
été un médiocre. On ne peut à la fois s’occuper d’anatomie et de politique.
L’anatomie est un art, monsieur Sénart. Un art exigeant. Car la perfection du
travail manuel exige de la manière la plus stricte et la plus absolue la
théorie la plus complète. Ce que vous avez vu dans les salles attenantes, ces
pauvres essais d’une technique encore balbutiante ne sont que les prémices du
grand œuvre que je réaliserai un jour, n’en doutez pas.
    Sénart s’assit sur un des
bancs, tout près de la table de dissection. Au fond, dans une vitrine, un autre
être humain, injecté de ces matières mystérieuses qui maintenaient l’apparence
de la vie, présentait l’essentiel de l’anatomie humaine.
    La blouse du vieil homme était
maculée de sang et d’humeurs. Ses mains, rouge ocre, avaient fouillé dans le
liquide vital corrompu de son sujet mais il ne semblait pas s’en soucier.
    — J’ai vu une préparation assez
semblable à celles que l’on peut admirer en entrant. Elle était dans la demeure
de cet homme, rue des Cornes.
    Fragonard souffla.
    — Ah oui, le singe ! Cet
imbécile a récupéré cette bête à Marseille. Bien entendu, elle n’a pas survécu
une semaine sur notre sol. Il a voulu démontrer qu’elle ressemblait à un être
humain. À un être humain des origines. Bah ! Ce monstre poilu ne ressemble
guère à Adam ! Quant à sa technique, je gage que dans moins de cinq ans
cet amas de chairs et d’os mal préparé grouillera de vermine. Moi, monsieur,
voilà trente-trois ans que je pratique. D’abord à Lyon où cet imbécile de
Bourgelat avait conçu une école pour le traitement des maladies des bestiaux !
Moi, m’occuper des écuries, de la maréchalerie, vous imaginez un peu ?
Mais, enfin, le roi a créé cette école où nous nous trouvons et j’ai cru que je
pourrais amener mon art jusque dans ces dernières limites. Mais Bourgelat,
toujours lui, m’en chassa. Moi, monsieur, il me chassa comme un vulgaire
palefrenier ! J’en étais réduit à préparer des pièces pour les collectionneurs
privés, des pièces qui ne quitteraient jamais un cabinet de curiosités ouvert à
la frivolité de la noblesse, ou pire la chambre de quelque grand seigneur. Si
vous saviez le nombre de maîtresses ou d’amants que j’ai dû préparer de manière
à ce qu’ils puissent encore assouvir la sensualité de mes commanditaires, vous
seriez surpris, monsieur. Mais qu’importe, j’apprenais ! Et il y a eu la
Révolution. J’ai cru comme un imbécile que des hommes éclairés voudraient enfin
mettre au jour cette science balbutiante, que d’autres écoles s’ouvriraient,
que Paris respecterait enfin cet art qui nous vient des anciens Égyptiens et
que nous avons tant perfectionné. Mais non, monsieur : pas une réponse,
rien. Il a fallu que mon bon ami David me fasse nommer dans je-ne-sais-quelle
commission pour que je puisse enfin obtenir quelques subsides et retrouver les
lieux où j’avais mis tant d’espoir pour les découvrir, hélas ! comme vous
les voyez aujourd’hui. Presque laissés à l’abandon, suintant l’humidité. Mon
art ne peut rien contre l’eau croupie et les rats.
    Sénart désigna le corps :
    — En tout cas, vous ne semblez
pas manquer de matière première.
    Fragonard reprit sa seringue et
injecta un liquide mystérieux dans le cou de sa victime. Ensuite, attrapant un
couteau très aiguisé, il découpa la peau de manière à ce qu’on distingue la
carotide gonflée de rouge, comme si le cœur battait et que le sang circulait
encore. Le vieil homme contempla avec satisfaction son ouvrage et sourit à son
interlocuteur.
    — Je n’en ai jamais manqué,
cher monsieur. Les fosses communes et les hôpitaux sont pleins et, parfois, nos
bons amis,

Weitere Kostenlose Bücher