La Sibylle De La Révolution
temps en temps !
Je ne comprends pas ce qu’ils
disent. Tout ce que je sais, c’est qu’ils parlent de moi. Ça me fait un peu
plaisir, mais ils peuvent raconter n’importe quoi. Tiens, pourquoi ne
parleraient-ils pas de me punir. Ils le font souvent, ça, me punir. Punir,
c’est prendre des coups, et ça il n’y a rien de plus douloureux. Encore plus
que quand on ne fait rien.
Il vaut mieux partir. Il faut
se lever. Ça fait mal de se lever. On s’appuie sur les bras. Il faut serrer les
dents pour ne pas crier. Faire passer le poids du corps sur les jambes. Elles
n’ont pas bougé depuis longtemps alors ça fait encore plus mal. Chaque pas
provoque un élancement. Ils disent que je grimace tout le temps, que j’ai l’air
idiot comme ça. Mais ils ne savent pas que j’ai mal. Ou alors, ils s’en
moquent.
C’est peut-être ça, ils se moquent
de moi. Je les déteste, je les déteste tous. Ils sont grands, ils sont forts,
ils savent courir et me rattraper, ils devinent toujours quand je me cache,
mais comment font-ils ?
Le curé est gentil. Il ne me
fait pas mal, lui. Il me parle doucement après la messe quand je joue devant
l’église :
— Alors, Charles, pauvre petit
bonhomme. Tu ne veux donc vraiment pas parler ? Ce n’est pas grave, tu
sais. « Heureux les simples car ils verront Dieu ! » Tu es si
maigre, mon enfant. Ne veux-tu donc pas manger quelque chose ? Une pomme,
tu aimerais ? Non, vraiment ?
Le curé ne comprend pas. Mais
lui, c’est pas par méchanceté.
Je sors et traverse la cour de
la ferme. Pourquoi est-ce grand ici ? Pourquoi faut-il traverser cette
maudite cour ?
Il y a des pierres et à chaque
fois, je trébuche et j’ai encore plus mal. Parfois, même, je tombe et c’est
atroce. Je crie. Je ne peux pas m’en empêcher. Père arrive, ou Nestor qui
s’occupe des bêtes. J’aime bien les bêtes. Elles ne me veulent pas de mal,
elles sont gentilles avec moi mais Nestor est toujours là.
— Pourquoi es-tu toujours en
train de traîner à l’étable ou à la bergerie, file donc maudit fils du diable.
Et il me fait un signe,
toujours le même. Ce n’est pas un signe gentil, c’est certain. Le diable, je ne
sais pas qui c’est mais ça doit être quelqu’un de méchant. Et je ne suis pas
son fils. Je suis le fils du père. Il le sait bien. Il dit ça pour me faire de
la peine. Au début, j’ai envie d’aller dans la grange pour pleurer et qu’il ne
me voie plus. Mais je pars et je ne l’écoute pas avec ses méchants mots.
Je sors de la ferme. Il y a les
champs mais le soleil me fait trop mal aux yeux. Je n’aime pas le soleil. Je
n’y vois rien. Mes yeux éclatent et il y a plein de petites lumières et après,
ça devient tout noir. Mais j’aime bien quand ça fait chaud. Je me couche sur la
terre, la tête entre les mains et là, c’est tellement bien que la douleur
disparaît un peu. J’aimerais bien pouvoir regarder le soleil. J’aimerais bien
pouvoir le prendre dans mes bras et le serrer contre moi. Le soleil est beau.
C’est la seule chose qui soit vraiment belle dans ce monde. Mais il est trop
loin pour que je le prenne dans mes bras et je ne peux même pas le regarder.
Lorsqu’il s’en va et qu’à la place il y a la lune, elle je peux la regarder
mais il fait froid, alors je tremble et j’ai encore plus mal. La lune est belle
aussi mais elle est froide. Peut-être que c’est ce que Nestor veut dire quand
il me traite de « maudit fils du diable ».
Je vais vers la forêt, là-bas,
il y a des endroits qui sont à la fois au soleil et à l’ombre. C’est agréable
la forêt. Je l’aime bien pour cela. Mais elle est loin.
Mes jambes me font mal. À
chaque fois que je lève la jambe ou que je plie le genou, il y a un petit cri
qui sort de ma bouche. Je ne vais pas pouvoir marcher longtemps. Après c’est le
dos, les épaules et les bras. J’essaye de ne pas les bouger mais c’est difficile.
Et de toute façon, si mes bras restent immobiles, ils finissent par me faire
mal. Ça vient plus lentement mais, après, c’est presque pire.
Est-ce qu’ils ont aussi mal que
moi, tous ? Des fois, on le dirait mais pas toujours. Lorsqu’ils portent
quelque chose de lourd ou qu’ils se cognent quelque part, sinon, jamais ils ne
crient ni ne pleurent. Ou peut-être les petits bébés, mais personne n’y fait
attention. Et puis, il suffit de leur mettre un biberon dans la bouche pour
qu’ils se calment. Alors que moi, manger me
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