La Sibylle De La Révolution
fait mal. Bouger mes mâchoires,
avaler. Je n’aime pas manger, boire un peu d’eau et de la soupe mais pas
beaucoup. Manger du pain… Rien que d’y penser, j’ai envie de crier.
À la messe, le curé dit :
« Nous sommes sur Terre pour souffrir. » Il a dit aussi que Jésus a
souffert pour nous sauver comme aucun homme n’a jamais souffert. Alors
peut-être que je suis comme Jésus et que tout le monde sera sauvé grâce à moi.
La forêt enfin. Je vais pouvoir
me reposer un peu en me mettant la tête à l’ombre et donner le reste du corps
au soleil. J’aurai un peu moins mal… jusqu’à ce que même la chaleur ne me
soulage plus.
— Hé, c’est Charles !
Je me retourne et pousse un
cri. D’abord parce que mon cou me fait mal, ensuite, parce que je les
reconnais. Eux ce sont bien les fils du diable. J’essaye de retourner à la
ferme mais ils me barrent le chemin.
— On dirait qu’il ne nous aime
pas.
— Tu crois, c’est une bête, un
idiot. Il ne peut aimer ni détester personne.
— Justement si, c’est une bête
il sait qu’il doit nous craindre. Hé toi, mets-toi à genoux ! Obéis.
Je ne comprends pas ce qu’il
dit. Il voudrait que je fasse quelque chose mais quoi ? Il va se mettre en
colère, je le sais. Il va faire un drôle de bruit avec sa bouche et…
Je crie. Il vient de me donner
un coup de pied. Ça monte jusqu’à ma tête et ça résonne partout. Je veux me
retourner. Partir. Mais ils sont partout. Un autre me pousse. Je tombe. C’est
horrible. J’ai mal partout. La douleur est là, elle est partout. Ils me tapent
les uns après les autres.
— Regardez comme il couine,
c’est un vrai cochon qu’on va égorger !
— Et il pue, sentez-moi ça.
— Il n’a pas d’âme. C’est une
bête. Pauvre fou !
— Pauvre fou !
Mes jambes se cassent de
partout et mes bras aussi. Mon dos fait comme une grande écharde qui partirait
des fesses pour aller jusqu’à la tête. J’ai mal partout en même temps.
D’habitude, c’est un endroit, puis l’autre. Là, c’est partout. Je roule à
terre. Plus jamais je ne me mettrai debout. Quelque chose me fait mal aux
oreilles. C’est moi qui crie. Je voudrais m’arrêter parce que c’est douloureux
mais je ne peux pas m’en empêcher.
— Hé, garnements, laissez-le.
On me ramasse mais j’ai
toujours aussi mal. Je crie toujours. Je crie jusqu’à ce que tout disparaisse.
Ça s’arrête d’un coup. Je ne sens plus rien. Il fait tout noir et j’ai froid.
Mais je ne peux pas crier.
C’est la nuit. La mère est là
et le père aussi. Il y a un autre homme, un monsieur.
— Regardez, monsieur, comme
c’est pitié. Le pauvre garçon a crié des heures. Ce sont ces voyous qui lui ont
fait un mauvais parti mais il y a quelque chose, j’en suis sûr. Il est malade,
voilà longtemps que je le dis.
— Arrête un peu, la mère. C’est
toi qui te fais des idées. Il est un peu douillet, c’est tout.
Le monsieur parle à son tour.
Sa voix est grondante comme l’orage mais il ne se fâche pas. Il est comme ça,
c’est sa voix.
— J’ignore si je peux quelque
chose pour votre enfant car, voyez-vous, ma spécialité est plutôt de préparer
des pièces d’anatomie pour les écoles de médecine…
— Nous sommes de pauvres gens.
Nous n’avons pas les moyens de prendre un vrai médecin de la ville. Vous savez
les choses, vous savez lire des livres. C’est bien assez pour nous.
— Comme vous voudrez.
Laissez-moi seul avec lui, je vous prie.
— Vous ne lui ferez pas de
mal ?
La mère pleure. De l’eau coule
de ses yeux. Je n’ai jamais vu cela. Des larmes. Moi j’en fais des fois. C’est
mouillé et ça vous coule des yeux. C’est quand on est triste, qu’on a mal ou
qu’on a peur. Qu’est-ce qui se passe ? Elle a mal, elle aussi ?
— Rassurez-vous. Par contre, si
vous l’entendez un peu crier, ne vous inquiétez pas. Il faut que je l’examine
et il peut ne pas apprécier un tel traitement. Il n’a jamais vu de médecin jusqu’ici,
n’est-ce pas ?
Le père et la mère sortent. Ils
ont peur. Le monsieur me regarde. Il a l’air ni bon ni méchant. On dirait qu’il
ne me voit pas.
— Alors, petit Charles. Que
vas-tu me raconter ? Hum… Tu as huit ans et tu ne parles pas. Bon, ce
n’est pas rare dans des milieux aussi arriérés que celui-ci. Mais cette façon
que tu as de crier m’intrigue. Voyons un peu.
Il enlève la couverture qui me
recouvre. Mal, le tissu frotte, je crie
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