La Sibylle De La Révolution
d’opium…
Tu sais, le liquide qui n’est pas bon. Tu verras, tu vas aimer ça et bientôt
peut-être même que tu ne pourras plus t’en passer !
Il a l’air gai. Il me donne un
verre, le liquide est amer et je ne veux pas le boire mais il m’oblige. Je bois
et bientôt ça devient tout noir.
— Vous voyez, il est en très
bonne forme.
— Mais cette cicatrice, c’est
affreux !
— Allons, madame, elle va
bientôt se refermer, ne vous inquiétez pas. Et vous constaterez qu’il ne
souffre plus du tout.
— Non, mais il ne bouge plus
non plus. Vous croyez qu’il est mort ?
— Regardez ses yeux, ils
bougent. Il nous écoute. Par contre, je vous ai dit qu’il n’aurait peut-être
plus l’usage de ses membres.
— Alors, il restera comme
ça ?
La mère a de l’eau dans les
yeux. Je n’aime pas ça alors je me mets à crier.
— Voyez comme il réagit !
Il est trop tôt encore pour le dire. Lorsque les tissus seront cicatrisés et
que son état sera stable, je l’examinerai de nouveau.
C’est le soir, il fait sombre
dans la chambre. Je suis couché et je ne peux pas bouger, mais je ne sens plus
rien du tout. J’ai peur. D’habitude, j’ai toujours mal et là, plus rien. Est-ce
que je suis monté au ciel ? Mais non, le petit Jésus serait déjà venu me
voir. Le monsieur entre. Il a des rides sur le front, comme s’il n’était pas
content.
— Décidément, j’aurais mieux
fait de m’abstenir. Ta mère n’arrête pas de pleurer et ton père menace d’aller
me dénoncer au bailli ! Je ne crains rien, bien sûr, ce n’est qu’un paysan
borné, mais si la nouvelle parvenait aux oreilles de l’Académie, j’aurais des
ennuis. À cause de toi ! Tu vas me faire le plaisir de bouger.
Il s’assied à côté de moi et
prend un marteau comme la fois où il m’a tapé le genou et il recommence.
— Absence totale de réflexe,
hum… voyons cela.
Il prend une aiguille et je ne
sais pas ce qu’il fait avec.
— Voyons, tu ne réagis plus du
tout à la douleur. Nous allons essayer autre chose : tes nerfs n’envoient
plus d’informations à ton cerveau mais, si j’ai bien tout calculé, ton cerveau
serait en mesure d’en envoyer à ton corps. Et il a fallu que je tombe sur un
attardé ! Écoute-moi bien, petit Charles, je vais prendre ton bras et tu
vas le bouger !
Il prend ma main. Mais c’est
comme s’il prenait un objet ramassé par terre.
— Bouge tes doigts. Bouge tes
doigts.
Je ne fais rien.
Il vient souvent. À chaque
fois, il me prend la main. « Bouge tes doigts ! » Moi, je ne
fais rien. Il me dit : tu ne sens pas ta main mais imagine que tu as une
main et imagine que tu la bouges. Vas-y !
Je ne fais rien.
Je suis tout seul dans le lit et
je pense. Il y a l’eau sur la table de nuit, j’ai soif. Il n’y a personne pour
m’en donner. Je crie mais personne ne vient. Elle est là, juste à côté. Je sens
l’eau à l’intérieur. Alors je pense, je pense que je lève la main pour
l’attraper. Je pense fort, très fort.
La carafe tombe.
Je pense très fort à lever la
jambe. Je pense très fort à m’appuyer sur mon bras comme lorsque je sentais
tout et que j’avais mal. Je ne sais pas ce qui se passe, mais je tombe.
Le monsieur entre : il me
trouve. Je crie. Mais lui, il a l’air heureux :
— Par tous les saints, j’ai
réussi !
Je marche dehors. C’est bien,
le vent souffle et le soleil me réchauffe. Je marche depuis longtemps et c’est
comme si je ne faisais rien. Je pense simplement que je marche et j’avance. Ma
tête flotte au-dessus des blés. Je pense à attraper un épi et voilà qu’il est
dans ma main. Je ne le sens pas, mais il est là. Je peux même le porter à ma
bouche et le mâchonner.
— Regardez comme il va mieux.
Il reprend des forces. Je n’ai jamais vu une telle force morale chez un enfant.
Un homme ordinaire serait resté à se morfondre, mais non, lui a repris le dessus.
La situation est entièrement inédite pour lui, pourtant il s’est
remarquablement adapté.
Je cours. C’est dur de courir,
je tombe tout le temps.
— Il marche bizarrement.
— Son sens de l’équilibre a
souffert mais il finira par s’habituer. Bientôt, il pourra accomplir tous les
actes ordinaires de la vie. Et admirez un peu sa musculature. Depuis
l’opération, son poids a presque doublé et c’est du muscle.
— Il passe ses journées à
courir et à soulever des pierres. Alors évidemment…
— Il ne sent plus
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