La Sibylle De La Révolution
fort. Hier, il a blessé un enfant. On ne sait pas s’il va
guérir. Les gens ont peur de lui. Ils vont prévenir le bailli. Vous vous rendez
compte, ils vont peut-être le pendre, mon bébé.
La mère se met à pleurer, alors
moi aussi, je crie.
L’homme enlève les petites
fenêtres. Il ouvre les yeux tout grands :
— C’est stupéfiant !
Pourtant, j’aurais dû y penser, bien sûr. Il ne sent pas la douleur. Il n’a
aucune sensation, voilà pourquoi il mange tant : rien ne peut le rassasier.
Et cette force : les courbatures, les lésions des tendons et des muscles,
voire les os brisés. Rien ne peut le faire fléchir. Et son corps s’est adapté.
Il a acquis une dureté sans pareille. C’est un phénomène classique.
— Il faut faire quelque chose
pour lui. Ils vont l’enfermer, le tuer peut-être.
— Je ne peux pas m’encombrer de
lui, vous comprenez que…
— Pitié, monsieur, pitié pour
lui !
La mère pleure et moi je pleure
aussi et je crie. Quelque chose lui fait mal. Je ne sais pas ce que c’est alors
je dis à mes mains de taper au hasard. Il y a un grand bruit. C’est du bois.
— Calme-loi, mon trésor,
calme-toi.
La mère a posé ses lèvres sur
mon front. Même s’il y a de l’eau dans ses yeux, je sais que ça va mieux, alors
je dis à mes mains d’arrêter.
Le monsieur me regarde. Il
plisse les yeux et met ses morceaux de verre sur sa figure :
— Il a brisé cette table d’un
seul coup ! Votre fils est un sujet d’étude tout à fait passionnant. Toi,
tu m’obéiras, n’est-ce pas ?
— Il le fera monsieur, vous
savez, il n’est pas si méchant au fond.
— Hum… Je ne sais pas si la
notion de méchanceté a prise sur lui. D’accord, madame, je vais garder votre
fils.
— Merci, monsieur le docteur.
Vous êtes bon. Dieu vous le rendra. Je vous en prie, occupez-vous bien de lui.
La mère n’est plus là.
J’attends, j’ai un peu peur.
— Voyons ça. Quel
gaillard ! Tu as treize ans, n’est-ce pas ? Tu vas donc grandir
encore. Gagner de la force. Tiens, prends donc à manger.
Il me donne du pain. J’aime le
pain et je le mange très vite.
— Quel appétit !
Je suis dans la cour. Je veux
sortir, aller plus loin mais il y a quelque chose qui me retient. C’est en fer
et ça fait du bruit quand je bouge. C’est attaché autour de moi. J’ai demandé à
mes jambes de tirer et à mes mains de les arracher mais elles n’y sont pas
arrivées. Le monsieur apparaît, il m’apporte à manger. Il pose un seau par
terre, rempli de choses bonnes à manger et il le pousse du pied. Je peux dire à
mes mains de l’attraper et je mange. Aujourd’hui, il y a un autre monsieur à
côté de l’autre.
— Voyez, mon cher Antoine-Christophe,
cette brute que je garde près de moi est le résultat d’une expérience curieuse.
— Vous l’avez décérébré ?
Le monsieur fait un bruit avec
sa bouche comme s’il était content.
— Non, il est né comme ça, un
attardé. Mais il souffrait de douleurs nerveuses insupportables. Le moindre
geste, la moindre contraction des muscles le faisait crier. J’ai opéré au
niveau de la moelle épinière.
— Je n’ai guère de
connaissances en médecine mais il me semble que cela aurait dû le laisser
paralysé.
— Certes, mais ce n’est pas ce
qui s’est passé. J’ai bien examiné une chèvre avant d’opérer le garçon et j’ai
eu bien soin de la garder vivante au moment d’inciser sa moelle. Il m’a semblé
que certains nerfs étaient plus importants que d’autres pour la motricité.
Alors, je me suis inspiré des résultats pour ce garçon. Soit j’ai sectionné
juste les bons nerfs, ceux qui transmettent les signaux de la douleur au
cerveau et laissé indemnes les autres, ceux qui envoient les ordres du cerveau
aux muscles. Soit il possède une faculté de régénération de ses nerfs absolument
remarquable. Je ne sais pas. Toujours est-il que, comme l’aveugle qui compense
l’absence de vue par l’exacerbation des autres sens, lui-même a considérablement
renforcé son système musculaire. Imaginez : il ne ressent rien, aucune douleur,
aucune fatigue. Par contre, il ne contrôle pas sa force, raison pour laquelle
j’ai dû l’enchaîner. Je ne sais pas trop ce que je vais faire de lui.
L’autre homme s’approche de
moi : il a un sourire sur sa bouche. Il est gentil, je l’aime bien.
— Quel faciès de brute, et dans
quel état est son corps. Il n’a plus de peau. Les muscles
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