La Sibylle De La Révolution
nez plongé dans
son cruchon de vin, jetant un regard mauvais loin autour de lui.
— Il devait y avoir du sang,
suggéra un des bonshommes. J’ai déjà vu un camarade se faire arracher un bras à
la guerre.
— Du sang ! La pièce en
était couverte jusqu’au plafond. Murs, sol, fenêtres, il y en avait partout. Il
n’en sort pas autant de la tête d’un de ces aristocrates qu’on passe au rasoir
révolutionnaire. On n’imagine pas que nos pauvres corps puissent en contenir
autant…
— Holà, vous deux !
Irrité, Sénart interpella
sèchement Lepoulet et Duglas et leur fit signe de le suivre.
— Vous n’aviez pas à révéler ce
que vous avez vu. Lepoulet, tu es un ivrogne qui déshonore le Comité et la
République !
Duglas haussa les épaules.
— Bah, ils sont ivres morts, que
pourraient-ils bien raconter ? D’ailleurs, personne ne les croirait.
— Il y a toujours des oreilles
prêtes à entendre et à répéter ! coupa le jeune homme. J’ai besoin de
vous. Allez au Comité et remettez ce message au citoyen Vadier. J’attends ici
la réponse. Et surtout n’allez pas brailler en chemin et raconter tout et
n’importe quoi à n’importe qui.
Il avait écrit sur un morceau
de papier :
Citoyen, j’ignore si la
ci-devant Lenormand est une affabulatrice ou si elle sait vraiment quelque
chose, néanmoins, toute piste méritant d’être vérifiée, je te demande
l’autorisation de disposer provisoirement de la prisonnière et de la faire
sortir, sous bonne garde, je peux t’en assurer, de la prison. Elle prétend
pouvoir me mener à quelque organisation séditieuse qui connaissait la victime.
Signé : Gabriel-Jérôme Sénart, Secrétaire rédacteur, Comité de sûreté générale.
Les deux hommes partis, il
s’assit sur un banc de pierre et réfléchit aux étranges paroles de la jeune
femme. N’était-ce pas là un tissu d’enfantillages, de ceux dont les prêtres
réfractaires abrutissaient les paysans de l’Ouest pour leur faire prendre les
armes ?
Soudain, il se rappela que
jamais au cours de leur conversation il n’avait prononcé le nom de la victime.
Or, elle savait qu’il s’agissait de Tavannes.
Cette constatation le plongea
dans de nouvelles supputations toutes plus absurdes les unes que les autres.
Les carrioles passaient et
repassaient à intervalles réguliers devant lui. Elles revenaient vides et
repartaient chargées de pauvres âmes qui baissaient la tête avant qu’on ne la
leur tranche, gémissaient, sanglotaient ou, au contraire, restaient hébétées,
comme déjà mortes. La foule moqueuse les vilipendait puis reprenait ses
occupations en attendant le prochain convoi. Parvenues place de Grève, les
charrettes s’arrêtaient si près de l’échafaud que de grande traces brunes en
maculaient le bois : le sang des condamnés jaillissait parfois fort loin
sous l’effet du rasoir national.
Lorsque les deux
porte-documents revinrent, l’après-midi était bien avancé. Lepoulet avait
encore dû s’arrêter à quelque gargote écluser un ou plus vraisemblablement
plusieurs cruchons de mauvais vin.
— La réponse du citoyen
Vadier, laissa simplement tomber Duglas en lui tendant une lettre.
Intrigué et impatient à la
fois, Sénart l’ouvrit.
Citoyen, une fois de plus tu ne
m’as pas déçu. Il est évident que cette femme nous sera bien plus utile dehors
que dedans, use de mon autorité, fais-la sortir et va partout où elle te dira
d’aller, sans cesser de la surveiller. Mais surtout, n’oublie pas une chose,
mon ami, tu travailles pour mon compte et j’exige que tu me rapportes avec la
plus grande fidélité tout ce que tu verras et entendras. Même si cela te paraît
insignifiant, note tout, et écris-moi tout, mais à moi seul ! Vadier.
P. S. : tu trouveras
ci-joint un ordre à l’attention du directeur de la Petite Force.
Il reposa le document,
stupéfait. Ainsi Vadier laissait sortir la femme. Il n’en revenait pas. Se
pouvait-il que le terrible inquisiteur du Comité croie les discours incohérents
de la Sibylle ?
Les prophéties de la Sibylle
1re prédiction
Déjà l’aurore éclaire le jour. Les premiers rayons du soleil viennent dissiper
les miasmes nocturnes. Je suis presque endormie sur la verte pelouse d’une
douce colline et seul le chant des oiseaux vient bercer mon esprit encore embrumé
de sommeil. Soudain, une lueur transparaît à travers le ciel.
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