La Sibylle De La Révolution
encore.
Elle se releva et marcha d’un
pas décidé jusqu’à la chambre de son frère. Il avait six ans et elle huit à
l’époque. Elle frappa et le trouva en train de jouer avec ses petits soldats en
bois.
— Mon frère, le supplia-t-elle.
Il ne faut absolument pas que tu ailles jouer aujourd’hui dans la cour.
Il lui jeta un regard
étonné :
— Ah oui et pourquoi ça ?
— Parce que si tu joues dans la
cour, tu t’aventureras dans la charpente au-dessus du puits. Père essayera de
t’empêcher de tomber, mais hélas ! C’est lui qui chutera et mourra.
— Et comment tu sais ça,
toi ?
— Je le sais, c’est tout.
— De toute manière, je ne
voulais pas aller dans la cour cet après-midi. Je préfère aller jusqu’à la
ferme pour voir le père Robert et ses chevaux.
Elle sortit de la chambre
rassurée.
L’après-midi avançait. La
fillette s’était assise dans sa chambre et brodait un petit ouvrage tout en
jetant parfois un coup d’œil sur la cour. Absorbée par la broderie, elle ne
pensait plus à sa vision du matin. Soudain, elle regarda avec distraction et
là, son cœur s’arrêta de battre. Henri ! Il approchait du puits. Il se pencha
par-dessus avec curiosité. Puis, comme par jeu, il grimpa dans la charpente qui
le surmontait et se laissa suspendre juste au-dessus du gouffre.
Le cœur de Marie-Adélaïde
faillit s’arrêter de battre, exactement comme dans sa vision. Elle poussa un
cri : « Henri, non ! »
Surpris, le garçon leva la tête
et là, avec horreur, elle vit son père qui accourait à son tour. « Henri,
Henri, petit malheureux ! » Elle observa son père tenter de grimper
pour attraper le garçon puis trébucher. Instantanément, l’homme tomba tête la
première dans le gouffre noir.
Les hurlements de la fillette
avertirent très vite toute la maisonnée et la manufacture qui la jouxtait.
Louis et le vieux Achille
descendirent dans le puits tandis que la meute des brodeuses commentait
l’événement en jacassant et que sa mère étouffait ses pleurs dans son tablier.
Finalement, les hommes remontèrent le corps du père et partout ce fut le
chagrin et l’affliction.
— C’est ma faute, c’est ma
faute, ne cessait de répéter Marie-Adélaïde en se serrant dans les bras de sa mère.
La femme, le visage marqué par
la douleur, se retourna vers elle :
— Pourquoi serait-ce ta faute,
ma fille ? Tu étais dans ta chambre.
— Mais je l’avais vu, je savais
qu’il allait tomber et je suis allée prévenir Henri de ne pas jouer au-dessus
du puits. Et lui qui était curieux, il y est allé pour voir ce qui allait se
passer. Jamais je n’aurais dû lui dire. Il serait allé à la ferme voir les
chevaux du père Robert.
La femme secoua la tête avec
incompréhension. Chacun mit ses propos incohérents sur le compte du chagrin car
chacun savait que Marie-Adélaïde, fille sensible et d’une remarquable intelligence
pour son âge, était incapable du moindre mal.
Pendant un an, elle vécut dans
les affres de la douleur. Chaque jour lui revenait à l’esprit la vision de son
père disparaissant dans le puits, comme happé par la sombre ouverture. Il y eut
d’autres menus incidents, moins graves, mais quoi qu’elle fît – qu’elle
se taise ou tente d’aviser la personne concernée –, toujours cela se
produisait. Ce n’était pas un don qu’elle possédait, mais une malédiction.
Enfin, lorsqu’elle eut neuf ans passés, elle prit sa décision : « Je
dois en parler à monsieur le curé. »
- Confiteor Deo omnipotenti,
beatae Mariae semper Virgini, beato Michaeli Archangelo, beato Joanni Baptistae,
sanctis Apostolis Petro et Paulo, omnibus Sanctis, et vobis, fratres, quia
peccavi nimis cogitatione verbo, et opere : mea culpa, mea culpa, mea
maxima culpa. Ideo precor beatam Mariam semper Virginem, beatum Michaelem
Archangelum, beatum Joannem Baptistam, sanctos Apostolos Petrum et Paulum,
omnes Sanctos, et vos fratres, orare pro me ad Dominum Deum Nostrum…
Les paroles de l’acte de
contrition prononcées par la petite fille résonnèrent dans le confessionnal de
la cathédrale d’Alençon. Le prêtre termina :
— In nomine Patri et Filii
et Spiritum Sanctum et in Saecula Saeculorum, Amen . Dis-moi tes péchés, ma
fille.
Elle se recroquevilla au fond
de l’étroit espace qui sentait le bois ciré. Il fallait qu’elle le dise.
— Je… j’ai causé la mort de mon
père.
L’homme avait été enterré
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