La Sibylle De La Révolution
« Est-ce le
soleil qui se lève avec un tel éclat ? » me dis-je. Mais non, bientôt
je dois me rendre à l’évidence. Les premiers rayons de l’astre du jour
n’éclairent encore que la cime des hauts arbres qui bordent la douce plaine. Un
spectacle lumineux et enchanteur vient de surgir au-dessus de moi. Une
silhouette baignée d’une lumière que n’ont jamais contemplée les yeux des
humains. Un visage plein d’une douce compassion, une auréole aveuglante
au-dessus de lui et, dans son dos, des vagues que l’on n’oserait appeler des
ailes tellement elles sont immenses et magnifiques.
Je le reconnais, c’est Idraël,
l’ange gardien de la Terre.
« Je viens de traverser
mille mondes, me dit-il. Et il m’a fallu en traverser mille autres, contourner
des astres par centaines, pour atteindre le trône sublime de Celui qui règne
sur les Cieux. Certains l’appellent le Grand Maître de Tout, d’autres Jéhovah,
dont le nom signifie « J’étais, Je suis, Je serai », d’autres
« le Grand Architecte de l’Univers ». Sa voix douce et terrible à la
fois a créé le monde et toutes les choses qui nous entourent, d’innombrables
anges autour de lui, chantent sa gloire à l’aide de leurs harpes célestes et de
leurs voix éthérées qui n’ont pas d’égales dans le monde des mortels. Je me
suis prosterné à ses pieds, face contre terre et lui ai exposé ma
requête : « Créateur de toute chose, jusqu’à quand régneront
l’impiété et le crime sur le doux pays de France que tu aimais tant
jadis ? Le malheureux peuple gémit sous le joug de tyrans inflexibles, tes
serviteurs sont voués à la mort la plus cruelle. Je t’en prie, viens-nous en
aide. » Voilà ce qu’il me répondit de sa voix terrible : « Les
crimes commis par ce peuple corrompu ainsi que les cris des innocentes victimes
sont parvenus jusque devant moi. Sache que l’ange de la mort vient de recevoir
l’ordre suprême de frapper les impies de son glaive redoutable. Il doit les
punir et les poursuivre à outrance jusqu’à leurs repaires impurs et sacrilèges.
Cela arrivera dans peu de temps. Les impies dresseront, tel un nouveau veau
d’or, des statues blasphématoires qu’ils adoreront. Tel un tyran, l’Antéchrist,
vêtu d’une toge et coiffé de laurier, sera proclamé roi. Mais les sombres
manigances de ses séides éclateront au grand jour. La mort, celle-là même qu’il
a donnée à tant d’autres, descendra sur lui et le frappera en pleine
gloire. »
Idraël gémit : « Je
suis descendu de l’Empyrée, j’ai franchi les abîmes pour retrouver la Terre,
petit point dans l’univers infini et le doux pays de France. Hélas ! La
paix y reviendra-t-elle un jour ? Même après la mort du tyran, il y en aura
d’autres. Je vais retourner tenter de l’implorer de nouveau et de fléchir sa divine
colère ! »
Et il s’envola dans un grand
nuage d’azur emmenant derrière lui les derniers miasmes de la nuit. C’est
agitée par de sombres pressentiments, terrifiée par cette prédiction, que je me
réveillai enfin, alors que les premiers rayons de l’astre du jour inondaient le
sol de ma chambre.
Depuis aussi longtemps qu’elle
s’en souvenait, Marie-Adélaïde avait toujours eu des visions. Encore que vision
ne soit pas vraiment le terme approprié. C’était plutôt un souvenir, une réminiscence
de quelque chose. Comme se rappeler l’odeur d’une oie rôtie au four pour fêter
Noël, la douleur consécutive à une gifle donnée par sa mère, l’odeur des champs
lorsqu’elle jouait avec son petit frère. Sauf que ce qu’elle se rappelait
n’avait parfois pas encore eu lieu.
Au début, à trois ou quatre
ans, tout cela lui était apparu absolument normal. Elle sentait des choses qui
allaient se produire, c’était tout. Elle disait à la servante :
« Attention, le lait va bouillir. » Et la gamelle débordait. Les gens
mettaient cela sur le compte de son intelligence ou d’un vif sens de
l’observation. Quant à elle, rien ne pouvait lui laisser supposer que son entourage
ne recevait pas le même type de vision. Il lui fallut du temps pour comprendre
qu’elle était différente.
Il y avait eu des indices, bien
entendu. La fois où son père, un brave drapier d’Alençon, s’était fait renvoyer
avec pertes et fracas par un noble désargenté qui lui devait des traites. Le mauvais
payeur avait dépêché à la boutique son intendant et quelques laquais
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