La Sibylle De La Révolution
et qu’ils n’aient d’autres buts
que la gloire de l’Architecte éternel, la pérennité de la vraie maçonnerie, le
bonheur de tous les êtres !
À nouveau, le silence se fit.
La même voix reprit :
— Frère secrétaire, veuillez
nous lire l’ordre du jour.
— Vénérable maître en chaire et
vous tous mes frères en vos grades et qualités…
Sénart reconnut immédiatement
la voix de celui qui les avait menés jusqu’à la porte du temple. L’homme
continua :
— Il y a dans le pronaos, en ce
moment même, deux profanes qui demandent à être entendus par la loge. J’insiste
pour qu’ils puissent s’exprimer devant nous. Il y va de l’intérêt de la
franc-maçonnerie en général et de cette loge en particulier.
— Qu’il en soit ainsi. Faites
entrer les profanes, mais veillez bien à ce qu’ils restent aveugles à nos
mystères.
Sénart serra les poings. Il en
était sûr, c’est de ce moment que dépendait le succès de sa mission. En
entrant, il eut une pensée fugitive qui le déstabilisa : la fille
avait-elle prévu cette audition dans ses cartes ?
Deux hommes le poussèrent en
avant et ils marchèrent ainsi une quinzaine de pas. La porte se referma
lourdement derrière eux. L’atmosphère avait totalement changé. L’odeur de
1’encens faillit l’étouffer. Il sentit une foule autour de lui. De nombreuses
respirations oppressées, des toussotements, des raclements de pieds. Combien y
avait-il ici de ces contre-révolutionnaires ? Une autre respiration,
familière celle-là, attira son attention. La fille était à ses côtés. Quel pouvait
donc bien être ses rapports avec cette assemblée ? On lui avait bandé les
yeux à elle aussi, ce qui signifiait qu’elle n’appartenait pas à leur cercle et
qu’ils n’avaient pas une confiance absolue en elle.
La voix qu’il avait entendue
depuis le vestibule s’éleva de nouveau. Elle venait de très haut, comme si
l’homme parlait de loin et que seul l’écho de ses paroles parvenait jusqu’à
eux.
— Profanes, vous avez demandé à
être introduits parmi nous. Sachez que si cette cécité provisoire dont nous
avons recouvert vos yeux nous protège contre toute indiscrétion, elle assure aussi
votre sécurité. Si par malheur vous contempliez l’un d’entre nous, une mort
aussi soudaine qu’inéluctable vous attendrait. Le secret de nos travaux doit
être protégé, mais également votre raison aveugle ne pourrait sans doute pas
supporter le spectacle de ces mêmes secrets. Maintenant, dites-nous qui vous
êtes et ce que vous voulez exactement.
Le jeune homme s’éclaircit la
gorge : jamais il ne s’était trouvé dans une telle situation. « Tout
est fait pour m’impressionner, en fait, ils ont sans doute encore plus peur que
moi ! » se dit-il pour se rassurer. Cependant, il les croyait volontiers
capables de l’exécuter sans autre forme de procès si d’aventure il lui venait
l’idée d’enlever le bandeau qui l’aveuglait. Il s’efforça de garder un ton
ferme, pourtant le son de sa voix lui parut bien dérisoire dans ces lieux dont
il ignorait jusqu’à l’emplacement et la disposition.
— Citoyens, je suis
Gabriel-Jérôme Sénart, secrétaire rédacteur auprès du Comité de sûreté
générale. On m’a confié la tâche de trouver l’assassin du ci-devant Charles
Dominique Saulx, vicomte de Tavannes, mort ce matin dans de mystérieuses circonstances
à son domicile situé rue des Ménétriers. On m’a également confié la mission de
découvrir l’identité d’un ennemi de l’État connu sous le sobriquet de
« Philosophe inconnu ». La femme qui m’accompagne m’a assuré que vous
pourriez me procurer des éléments afin que je mène à bien mes recherches. Elle
m’a aussi assuré que ma vie ne serait pas menacée en ces lieux.
En vérité, elle ne lui avait
pas tout à fait dit cela, mais il espérait que son aplomb les convaincrait. Un
bref silence suivit cette déclaration.
« Mais que font-ils
donc ? » se dit-il à la fois impatient et mortellement inquiet.
Puis le maître des lieux parla
de nouveau :
— Monsieur Sénart, sachez
d’abord qu’à aucun prix nous ne vous dévoilerons l’identité de celui que vous
connaissez sous le nom de Philosophe inconnu, et qui est un de nos très chers
frères. D’ailleurs, la connaissance de sa véritable identité ne servirait en
rien le Comité de sûreté générale. Comme son nom l’indique, il n’est
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