La Sibylle De La Révolution
Bien entendu, il n’avait pas évoqué sa crainte – plus que
fondée ! – de finir à l’échafaud avant elle, Vadier n’étant pas enclin à
pardonner ce genre de bévue. Il ne comptait pas trop sur sa pitié.
Soudain, une voix masculine
retentit :
— Elle est là, citoyen.
Puis d’autres voix féminines croassantes
se firent entendre :
— Je l’ai vue rentrer.
— Elle est dans la maison du
gros Fernand !
— N’envoyez pas la garde
nationale ! Nous sommes de bons citoyens.
Il remit le pistolet dans son
étui, un peu rasséréné. Au moins, le petit peuple de Paris craignait-il encore
les représentants de l’ordre.
Dans la semi-obscurité de la
ruelle, une silhouette apparut. C’était la fille.
— Excuse-moi, citoyen, un
besoin pressant.
Et elle lui renvoya un sourire
complice. Il faillit se mettre en colère. Vraiment la donzelle ne manquait pas
de culot ! Néanmoins, le soulagement l’emporta.
— Je tiendrai ma parole,
répliqua-t-il froidement. Si tu coopères, cet écart ne sera pas signalé dans
mon rapport. Par contre, je t’ai dit que je prendrai quelques précautions. Toi,
là-bas, va me chercher une corde !
Il avait interpellé un
aubergiste qui avait suivi la scène avec intérêt sur le pas de sa porte.
L’homme s’inclina :
— Tout de suite, citoyen.
Un instant plus tard, il avait
lié les mains de la jeune femme, en prenant la peine toutefois de ne pas trop
serrer afin de ne pas la blesser. Il serra dans son poing l’autre extrémité de
la corde. Elle eut une petite moue désapprobatrice.
— Et si j’ai vraiment un besoin
pressant, citoyen.
— Je ne te libérerai pas ni
d’ailleurs ne te tournerai le dos, répondit-il avec sévérité.
Il ajouta néanmoins :
« Je tâcherai de ne pas regarder. » Elle sourit, montrant qu’elle
n’était pas dupe de sa gêne. Il se sentit soudain pressé de se débarrasser de
son encombrante prisonnière.
— Viens !
Ils reprirent la rue de
l’Auxerrois et continuèrent à marcher vers le centre de Paris.
— Tu aurais vraiment appelé la
garde nationale ? lui lança-t-elle.
— Et toi, as-tu pu réellement
penser m’échapper ?
Elle rit :
— Tu marques un point, citoyen.
Évidemment, je n’avais aucune chance de me sortir de là. Disons que j’ai voulu
jauger tes capacités. Tu as gardé ton sang-froid.
— Me jauger, moi ! Tu ne
manques pas d’audace.
Elle reprit immédiatement son
sérieux :
— Là où tu aspires à aller tu
dois posséder en ton cœur un caractère ferme. Je n’irais pas avec n’importe qui
les rencontrer.
De nouveau un silence.
— Où comptes-tu les
trouver ?
— Ce sont eux qui nous
trouveront, expliqua-t-elle. Après ta brillante intervention, la moitié de
Paris doit savoir que la citoyenne Lenormand se promène en compagnie d’un
officier du Comité. Je parie qu’ils nous suivent déjà.
Il résista à la tentation de se
retourner. Aucun des passants qu’ils croisaient ne faisait attention à eux,
veillant simplement à ne pas bousculer l’homme en uniforme officiel.
— Tu sembles bien certaine de
leur pouvoir.
Il voulait lui en faire dire un
peu plus sur ses mystérieux amis mais elle ne tomba pas dans le piège.
— Ils vous ont échappé depuis
que le pays se vautre dans le chaos. Ils ont appris à être très prudents et à
conserver des yeux et des oreilles partout. En fait, je crois même qu’ils nous
suivent depuis la Petite Force.
Il sursauta :
— Comment font-ils pour se
cacher ?
— Ça, citoyen, tu le
découvriras par toi-même lorsqu’ils en auront décidé ainsi.
— Mais que font-ils au
juste ? Ils conspirent contre l’État, ils préparent la chute de la
Révolution et le retour des tyrans ?
— Tu ne comprends vraiment rien
à rien !
Il se retourna, surpris par sa
colère. Elle semblait sincère :
— Ils ne veulent aucun mal à la
Révolution et l’ont même appelée de leurs vœux ! continua-t-elle d’une
voix passionnée. Si seulement les fous sanguinaires qui dirigent les Comités pouvaient
essayer au moins une fois de les écouter sans les envoyer au supplice ! Il
y a des ennemis bien plus insidieux et bien plus puissants qu’eux. La raison
est leur seule arme et on veut les tuer pour cela. Pas seulement Vadier et ses
sbires, mais aussi les loges noires !
— Ce que tu m’as raconté tout à
l’heure manque de crédibilité, insista-t-il, intéressé. Qu’une bande de
francs-maçons ait voulu
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