La Sibylle De La Révolution
Mais, auparavant,
il avait une foule de questions à poser à la jeune femme.
Il lui fit donc signe de
s’asseoir :
— Citoyenne, je dois avoir des
réponses aux demandes que je vais formuler.
Il s’efforça de prendre un ton
sévère, mais elle lui renvoya un sourire désarmant : il aurait déjà dû
comprendre que ce genre de technique ne fonctionnait pas avec elle.
— Demande, citoyen, et je te
répondrai du mieux que je peux.
— Hum, où ces gens nous ont-ils
emmenés ? commença-t-il après s’être éclairci la voix.
— Dans leur loge,
répliqua-t-elle en changeant de position.
Elle ne ressemblait ni à un
suspect ni à un témoin qu’on interroge, mais à une jeune fille de bonne famille
discutant avec un prétendant !
— Je le sais bien, mais où
est-elle ?
— Je te rappelle qu’ils
m’avaient bandé les yeux à moi aussi. Je n’en sais pas plus que toi.
— Mais tu savais où les trouver !
Tu leur as envoyé un message. Ils savaient que je voulais les rencontrer.
Elle reprit, un peu
impatiente :
— Je savais qu’en me promenant
dans le quartier du Louvre en compagnie du policier chargé de l’enquête sur
l’assassinat de Tavannes, ils comprendraient le message. C’est ainsi que je procède
d’habitude.
— Tu les vois souvent ?
— Je ne les vois pas,
rectifia-t-elle. Mais je les entends, comme ce soir.
Il se leva et marcha de long en
large :
— Je ne te crois pas, ils
savaient que j’allais venir. D’ailleurs, tu devais négocier une entrevue et tu
n’as pas eu le temps matériel de le faire. À moins que…
Il se retourna vers elle et la
fixa droit dans les yeux :
— À moins que ces factieux
n’aient des contacts jusqu’au cœur de la Petite Force. Tu les as prévenus, ils
se sont empressés d’aviser leur ci-devant vénérable maître. Une fois cette
affaire résolue, j’enquêterai dans cette prison, sois-en sûre !
Elle ne désarma pas :
— Fais ce que bon te semble,
citoyen, mais cela ne t’apportera pas grand-chose. Si tu veux un conseil,
occupe-toi de l’affaire qui te tracasse avant de vouloir assainir vos prisons
révolutionnaires qui sont de véritables nids à corruption et à intrigues.
Il se mordit les lèvres :
elle avait raison. Il lui fallait avoir des précisions sur les paroles
prononcées ce soir à l’intérieur du temple maçonnique. Il aurait voulu lui
poser bien des questions sur les rituels, sur la hiérarchie de ces loges, sur
leurs mystères, mais il n’en saurait sans doute rien. Par contre, elle pourrait
sûrement répondre à cela :
— Parle-moi du comte de
Saint-Germain. Je veux tout savoir de lui.
Elle sembla réfléchir un
instant et il s’émerveilla de nouveau du sérieux que pouvait manifester cette
toute jeune femme et de ses brusques changements d’attitude.
Puis, elle se mit à raconter
d’une voix sourde. Rapidement, il ferma les yeux : c’était comme si le
tableau vivant des aventures du célèbre comte s’illuminait devant lui.
« Louis XV est à
Versailles. Il s’ennuie. Les Anglais sont maîtres des mers et rendent difficile
le commerce. Le déficit du budget de l’État se creuse et atteint des
profondeurs abyssales : deux cent quarante-sept millions de livres !
Voilà les sujets dont l’accable l’ennuyeux Choiseul. Dans ces moments-là, plus
rien ne l’intéresse. Au moins, du temps du cardinal de Fleury, il n’avait pas
de décision à prendre, ni d’ordre à donner. Le vieil ecclésiastique était
certes assommant et moralisateur mais il lui avait toujours présenté les choses
avec beaucoup de tact, à tel point que, dans son entourage, on pouvait croire
que c’était bien le roi et non son fidèle ministre qui régnait sur le pays.
Mais Fleury était mort. Choiseul, qui l’a remplacé, n’a pas la finesse du vieux
cardinal. La cour l’ennuie, même les jeunes et affriolantes maîtresses que lui
procure la bonne M me de Pompadour au parc aux Cerfs ne
parviennent plus à le dérider.
« Le roi s’ennuie et c’est
toute la cour qui languit en attendant qu’enfin ce grand libertin qui occupe le
trône de France depuis trente-huit ans retrouve quelque goût à la vie. Ce
soir-là, il s’est installé sur la terrasse dominant les vastes jardins édifiés
du temps de son aïeul. Il n’aime pas ces allées trop rectilignes, ces formes
géométriques trop bien tracées. Cet asservissement de la nature au profit d’une
esthétique qu’il juge vieillotte.
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