La Sibylle De La Révolution
Fort heureusement, il se souvient à peine de
son trisaïeul. Comme le règne du vieux Louis XIV a dû être lassant ! Il
sirote un verre de muscat. Autour de lui, les courtisans compassés, debout
comme l’exige l’étiquette, attendent que le monarque daigne leur adresser la
parole, décrète une distraction, un jeu ou simplement une chasse, mais Louis XV
reste plongé dans ses pensées maussades.
« Les grandes portes
s’ouvrent soudain à la volée. M me de Pompadour s’avance,
accompagnée de deux hommes. Il connaît le premier, le marquis de Marigny, mais
le deuxième lui est inconnu. De prime abord, il ne semble pas bien extraordinaire,
mais le roi, qui aime bien les bijoux, remarque que l’homme en est presque
couvert : bagues, sautoirs, médaillons et même boucle d’oreille ! Pas
suffisamment pour qu’on juge sa tenue vulgaire mais assez pour qu’on
s’intéresse à son originalité. Et surtout, il porte à la main gauche un diamant
magnifique, d’une grosseur que le monarque n’a jamais vue, même au milieu des
plus belles pierres rapportées des Indes.
— Majesté, commence la
marquise, enjoué. Il faut absolument que je vous présente un homme
extraordinaire. Figurez-vous que voici notre ami le comte de Saint-Germain. Il
a quitté pour nous la cour du shah de Perse et rend visite à votre cour. Vous
le trouverez très intéressant : c’est un virtuose du violon, un excellent
peintre et surtout un grand chimiste.
« L’homme s’incline
profondément devant le roi. Ils ont à peu près le même âge, mais le dénommé
Saint-Germain possède dans ses traits et dans sa mise une noblesse et une
profondeur qui impressionnent le monarque.
« Il s’étonne un peu que
le nouveau venu se présente sous le nom de Saint-Germain - Saint-Germain
ne fait-il pas partie du domaine royal ? -, mais décide de ne pas
s’inquiéter outre mesure. Après tout, si l’individu est capable de le distraire,
il lui sera pardonné d’avoir usurpé un titre.
— Enchanté, monsieur. Vous avez
là un fort beau diamant.
« Le comte s’incline de
nouveau, un demi-sourire sur les lèvres :
— Votre Majesté est trop bonne.
C’est là en vérité simple babiole que Sa Majesté le roi de Perse m’a remise
lorsque j’ai quitté sa cour pour vous rejoindre. S’il y a bijou admirable à
contempler et parfait en tout point, c’est celui-là.
« Et il ôte la main du
pommeau de sa canne, dévoilant une pierre comme le roi n’en a jamais vu. Il
écarquille les yeux devant une telle grosseur, une couleur à nulle autre
comparable.
— Me permettez-vous, monsieur.
— Mais comment donc, Majesté.
« Le roi contemple avec
attention le diamant qui forme le pommeau de la canne. L’eau en est d’une
pureté parfaite.
— C’est une pierre magnifique,
monsieur. Inimitable, je dirais. S’agit-il là aussi d’un cadeau du shah de
Perse car alors, je me montrerais jaloux des soins que ce lointain monarque a
eus pour vous.
« Mais l’homme sourit en
secouant la tête.
— Cette pierre, Majesté, est
beaucoup plus ancienne. Comme vous le savez, le roi Salomon possédait en
Afrique des mines d’où il tirait d’extraordinaires trésors. Cette pierre-ci a
été extraite spécialement pour lui et a servi de cadeau pour la très belle
Balkis, reine de Saba.
— Voilà une histoire bien
extraordinaire ! Mais comment pouvez-vous le savoir ?
« L’homme continue avec le
plus parfait aplomb :
— Le roi Salomon était un
monarque sage et raisonnable mais il trouva en Balkis une adversaire qu’il ne
put vaincre. Elle possédait une intelligence bien supérieure à celle de son
sexe et ne partageait pas les sentiments de son royal amant. C’est presque
désespéré, se jetant à ses genoux, qu’il lui fit cadeau d’une pierre aussi
magnifique. Elle la repoussa avec dédain du bout du pied.
« Et il ajoute sur un ton
mystérieux en contemplant le diamant :
— Il me sied de porter l’arme
inutile d’un roi vaincu par la beauté et par l’amour qui sont les seuls vrais
souverains tout-puissants sur cette Terre. »
« La remarque est osée et
le groupe des courtisans frémit mais Louis XV ne s’en formalise pas. Il est
fasciné par le diamant.
— Quelle beauté, je ne crois
pas en avoir déjà vu de si magnifique. Excepté le Bleu de France, bien entendu.
Le Régent n’a pas cette couleur. Il y a bien sûr cette pierre que l’on m’a
offerte, mais malheureusement elle est
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