La Sibylle De La Révolution
tachée.
— Si Votre Majesté voulait bien
me la confier, je me ferais une joie de la lui rapporter pure et intacte.
« Ainsi Louis XV
confie-t-il un magnifique diamant de sa collection à Saint-Germain. Il n’a rien
à craindre car, sur les ordres de Marigny, on le tient au château de Chambord
pour qu’il y poursuive ses recherches d’un très grand intérêt selon les dires
de son ministre. Et puis l’homme l’intrigue.
« Pendant ces quelques
jours, il se renseigne, interroge ses courtisans. Il veut en savoir plus sur le
comte de Saint-Germain. Le roi a désormais une distraction. Il est heureux.
D’un côté, il se dit que si l’homme est un filou, il aura du plaisir à le
démasquer, de l’autre, tous les bruits qu’il entend sur lui ravivent sa curiosité.
Ce comte-là, s’il ment, ne manque pas d’audace !
« Plusieurs jours plus
tard, Saint-Germain revient à la cour et présente le diamant pur de toute
trace, absolument parfait. Le roi est assis dans le salon des Chiens. Sur le
bureau sculpté par l’ébéniste Joubert, il contemple le joyau.
— Magnifique, cher comte.
Décidément, vous n’usurpez pas votre réputation.
— Votre Majesté me fait trop
d’honneur. Ma réputation n’a rien d’exceptionnel.
« Le roi se renverse dans
son fauteuil.
— Taratata, comte. Je me suis
renseigné, savez-vous. Par exemple vous ne dites jamais votre âge et vous ne
semblez guère plus vieux que moi, mais la comtesse de Gergy qui était, il y a
cinquante ans je crois, ambassadrice à Venise, dit vous y avoir connu tel que
vous êtes aujourd’hui.
— Il est vrai, Votre Majesté,
que j’ai bien connu, il y a longtemps, M me de Gergy.
— Mais d’après ce qu’elle dit,
vous auriez plus de cent ans à présent ?
— Cela n’est pas impossible,
répond-il en riant, mais je conviens qu’il est encore plus possible que cette
dame, que je respecte, radote.
— Vous lui avez donné,
dit-elle, un élixir surprenant par ses effets, elle prétend qu’elle a longtemps
paru n’avoir que vingt-cinq ans. Pourquoi ne m’en donneriez-vous pas à moi
aussi ?
— Ah ! Votre Majesté,
s’exclame-t-il, que je m’avise de donner au roi une drogue inconnue, il
faudrait que je fusse fou !
« Louis XV rit.
— Ce n’est pas tout, même notre
vieux Rameau est de la partie. Savez-vous que cet excellent quoique verbeux
musicien affirme vous avoir connu sous le nom de comte de Montferrat en 1710.
Il ajoute même que vous êtes capable de vous rendre invisible et d’hypnotiser les
personnes alentour.
— Votre Majesté, je ne saurais
contredire un si excellent musicien et merveilleux théoricien. J’ai moi-même un
peu composé et admire beaucoup l’œuvre de ce grand maître.
— Partout où vous passez, vous
contez mille anecdotes plaisantes sur les temps anciens. D’une manière
tellement convaincante que d’aucuns affirment que vous ne pourriez les décrire
de la sorte sans les avoir vécues vous-même.
— Les voyages et l’étude m’ont
beaucoup formé.
« Le roi change
d’attitude. Il se rapproche du comte et l’empoigne par le col :
— Ne jouez pas avec moi !
Je sais très bien que vous n’êtes pas celui que vous prétendez être,
« comte de Saint-Germain » ! Mais Saint-Germain fait partie de
mon héritage direct. Je saurais bien s’il existait un comte de ce nom. Alors,
parlez !
« L’homme a gardé son
sang-froid et les menaces du roi ne semblent pas l’émouvoir. Il se contente de
défroisser son col en dentelle.
— Et qu’est-ce que Sa Majesté
voudrait bien vouloir de moi ?
— Votre secret, Saint-Germain,
votre secret ! On vous dit immortel. Savez-vous ce que raconte,
Sébastien-Roch Nicolas ? Qu’il a interrogé votre domestique sur le fait
que vous auriez deux mille ans.
« Saint-Germain éclate de
rire.
— Et le bonhomme a
répondu : « Je ne sais pas, monsieur, il n’y a que trois cents ans
que je suis à son service. « C’est un trait d’esprit que je lui ai
moi-même soufflé. Votre Majesté, j’espère que vous ne croyez pas cet amas de
ragots. Votre ministre Choiseul, qui ne m’aime point, les sème à tous vents.
« Louis XV n’en démord
pas :
— D’accord, Choiseul avec ses
idioties a contribué à vous rendre célèbre. Mais il y a autre chose,
Saint-Germain. Autre chose, et je veux savoir quoi.
« Le comte redevient
immédiatement plus sérieux.
— Votre Majesté, l’objet de ma
quête, le récit des
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