La Sibylle De La Révolution
qu’on lui présente tous les documents justificatifs dont il
nota scrupuleusement les références sur un registre.
— Et la fille, qui
est-elle ? demanda-t-il, soupçonneux.
— Un agent auxiliaire recruté
par le Comité de sûreté générale, répliqua le jeune homme sur un ton sec.
Se lancer dans d’interminables
explications sur la raison de sa venue, de sa libération de la prison de la
Petite Force n’aurait fait que renforcer les soupçons du grenadier. Et puis c’était
la formule consacrée qu’employaient les hauts représentants des différents
Comités lorsqu’ils amenaient leur maîtresse dans ces lieux.
L’homme lui rendit les
documents avec un sourire ironique :
— Si le Comité a besoin d’elle
c’est que cela doit être une affaire bien urgente. Passe citoyen et je te
souhaite une bonne nuit.
Sénart fit signe à la jeune
femme et ils entrèrent dans la cour.
— Ainsi, c’est ici que tout se
passe et que tout se décide… tous ces morts.
Il se retourna, elle s’était
arrêtée pour contempler la façade des Tuileries.
— Ici, ils envoient leurs
assassins aux quatre coins de la France, ici, ils imposent leur tyrannie. Bien
cachés, bien à l’abri. Et toi, citoyen, où te caches-tu ?
Il désigna la façade de l’Hôtel
de Brionne, à l’est de la cour des Suisses.
— Ici, mais modère tes paroles.
Il y a beaucoup d’oreilles indiscrètes entre ces murs, et bien des ennemis de
la Révolution ont été condamnés pour des propos moins séditieux que les tiens.
Elle haussa les épaules et
continua. À l’entrée de l’Hôtel, ils retrouvèrent les deux porteurs d’ordres.
Ceux-ci se levèrent des marches où ils attendaient en jouant aux cartes,
visiblement de mauvaise humeur :
— Ah, citoyen ! Te voilà
enfin. Où donc étais-tu passé ? Vadier t’a fait réclamer plusieurs fois.
Il exige un rapport demain à l’aube. Ta tête ne vaut pas cher, foi de
Duglas !
L’homme avait reniflé avec
mépris en voyant la fille qui accompagnait le secrétaire rédacteur. Lepoulet
renchérit :
— Ne t’inquiète donc pas, mon
ami. Regarde, notre jeune apprenti rédacteur est en train d’apprendre les
ficelles du métier. Il a travaillé notre témoin au corps si j’en juge l’heure
tardive !
Sénart les repoussa :
— Laissez-moi ! J’étais en
mission et j’apporte au Comité de précieuses informations. Cette femme est un
témoin de la plus grande importance.
Ils ricanèrent, peu convaincus.
La jeune femme leur lança :
— Si vous le souhaitez, je
lirai votre avenir ! Les cartes, le ciel et les enfers n’ont pas de secret
pour moi. Pour de si charmants héros de la Révolution ce sera gratis bien sûr.
Duglas recula et Gabriel-Jérôme
le vit esquisser un geste qui était peut-être un signe de croix. Lepoulet
éclata de rire :
— Mon avenir ! En tout
cas, je pense savoir le tien. La Grande Faucheuse républicaine tranchera ton joli
cou mais d’ici là, je gage que tu auras contribué au bien-être de quelques bons
et fidèles révolutionnaires.
Ignorant le sarcasme, Sénart
entra dans l’Hôtel suivi de la jeune femme qui riait elle aussi.
— Pourquoi ris-tu ?
maugréa-t-il.
— Parce qu’il ne vivra pas bien
longtemps, répliqua-t-elle sur un ton badin. C’est lui qui se trouvera
raccourci proprement sur la place de Grève.
— Comment le sais-tu ? Tu
n’as pas lu ses cartes.
Il est des avenirs tellement
évidents que le tarot est inutile.
Il haussa les épaules. L’entrée
de l’Hôtel était déserte à part l’huissier de service et deux gardes qui
dormaient à moitié derrière leur bureau. Une seule bougie éclairait les lieux.
Sénart réveilla le fonctionnaire, fit noter leurs deux noms et prit l’escalier
qui menait aux étages supérieurs.
— C’est par là.
Enfin, ils étaient à son
bureau, une petite pièce poussiéreuse. Les murs entièrement couverts de
rayonnages recelaient une quantité innombrable de dossiers, de comptes rendus,
de décrets… Pour tout meuble on ne trouvait qu’un mauvais lit de camp dans un
coin et, au milieu de la pièce, un bureau surchargé de pièces de procédures.
Ayant allumé la bougie, Sénart y retrouva le rapport qu’il avait commencé à
rédiger la veille au soir, avant de s’endormir dessus, et referma le volumineux
registre. Le récit des exactions de Carrier et de ses sbires attendrait. Il lui
faudrait d’urgence relater tous les événements de la journée.
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