La Sibylle De La Révolution
différents degrés que j’ai franchi, au cours de ma vie et,
enfin, le résultat de mes recherches incessantes ne doivent pas être énoncés devant
des oreilles vulgaires et profanes.
— Oubliez-vous que je suis
votre roi ?
« L’homme s’incline :
— Puisqu’il en est ainsi, vous
saurez tout, Votre Majesté.
« Alors, dans le salon des
Chiens, devant le roi enfoncé dans son fauteuil, l’alchimiste commence son long
récit :
« Vous allez pénétrer,
Votre Majesté, dans le sanctuaire des sciences sublimes, ma main va lever pour
vous le voile impénétrable qui dérobe aux yeux du vulgaire le tabernacle, le
sanctuaire où l’Éternel déposa les secrets de la nature. Secrets qu’il réserve
à quelques êtres privilégiés. Pour les élus que sa toute-puissance créa pour
voir, pour planer à sa suite dans l’immensité de sa gloire et détourner sur
l’espèce humaine un des rayons qui brillent autour de son trône d’or. Ecoutez,
Sire, écoutez, mon témoignage. Il faisait nuit. La lune cachée par des nuages
sombres ne jetait qu’une lueur incertaine sur les blocs de lave qui environnent
la Solfatara ; la tête couverte du voile de lin, tenant dans mes mains le
rameau d’or, je m’avançais sans crainte vers le lieu où j’étais venu passer la
nuit. Errant sur un sable brûlant, je le sentais à chaque instant s’affaisser
sous mes pas. Les nuages s’amoncelaient sur ma tête, l’éclair sillonnait la nue
et donnait une teinte sanglante aux flammes du volcan. Enfin j’arrive, je
trouve un autel de fer. J’y place le rameau mystérieux. Je prononce les mots redoutables.
À l’instant, la terre tremble sous mes pieds ; les mugissements du Vésuve
répondent à ces coups redoublés ; ses feux se joignent aux feux de la
foudre. Les chœurs des génies s’élèvent dans les airs, y font répéter aux échos
les louanges du Créateur… La branche consacrée que j’ai placée sur l’autel
triangulaire s’enflamme tout à coup ; une épaisse fumée m’environne, je
cesse de voir. Plongé dans les ténèbres, je crois descendre dans un abîme.
J’ignore combien de temps je reste dans cette situation mais, en ouvrant les
yeux, je cherche vainement les objets qui m’entouraient quelque temps auparavant.
L’autel du Vésuve, la campagne de Naples ont fui loin de mes yeux. Je suis dans
un vaste souterrain, seul, éloigné du monde… »
« Il se tait. Le roi, subjugué
par le récit, qui lui a fait un bref instant oublier l’ennui qui le taraude
depuis des années qu’il règne, l’interroge avec fébrilité.
— Alors ? Que
s’est-il passé par la suite ?
« Saint-Germain pendant
tout ce discours avait gardé un visage marmoréen et le regard fixé vers quelque
monde lointain. Plongeant ses yeux dans ceux de son interlocuteur, il lui
sourit :
— Cela, Votre Majesté, vous
l’apprendrez en temps et en heure. Il est des secrets qui ne peuvent être
délivrés directement et sans préparation à une âme profane.
« Mais Louis XV veut en
savoir plus :
— Vous êtes impitoyable, comte.
J’attends avec impatience la suite de ce récit. Quand reviendrez-vous me rendre
visite ?
« Cette fois-ci,
l’alchimiste répond par un geste évasif :
— Encore faut-il que votre
ministre Choiseul me laisse tranquille. Je n’aspire qu’à travailler à votre
gloire dans les antiques murs du château de Chambord que votre bonté a cru bon
de mettre à ma disposition. Peut-être vous rapporterai-je des joyaux bien plus
beaux que celui que vous m’avez confié. Peut-être saurez-vous à la fin des
secrets tels que peu de mortels ont eu connaissance sur Terre. Des secrets qui
ne peuvent être connus que des génies… ou des rois ! »
Marie-Adélaïde se tut. Sénart
se frotta les yeux.
« Est-ce que je rêve ou
m’a-t-elle jeté un sort ? »
Pendant tout le temps du récit,
il a vu la silhouette mystérieuse du comte de Saint-Germain devant lui. Son
visage calme et énigmatique. Ses riches vêtements couverts de bijoux. Son sourire.
Il a vu aussi le roi : le libertin descendu de sa superbe buvait les
paroles du mage.
Il dut recouvrer son calme. Il
était fatigué et la journée, riche en événements mystérieux, avait exacerbé sa
réceptivité. « Il a suffi qu’elle déploie son grand talent de comédienne
pour ainsi me plonger dans quelque torpeur suspecte. »
— Que s’est-il passé par la
suite ? demanda-t-il sur un ton qu’il voulait
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