La Sibylle De La Révolution
un héritage. Une de ses clientes
vient de périr et elle a si bien caché son testament qu’il n’a pas été
retrouvé. Il en a rédigé un en sa faveur, un faux, bien sûr. Mais ce qu’il ne
sait pas, c’est qu’un des cousins de la femme qui habite Pau est en route pour
Paris avec un exemplaire du vrai testament. S’il veut hériter, il devra faire dénoncer
et faire arrêter le cousin, comme contre-révolutionnaire, royaliste ou agent
anglais par exemple, et, ainsi, il récupérera le magot.
Flammermont la jetait déjà
dehors, elle eut juste le temps de crier :
— Le cousin s’appelle Victorin,
François Victorin, il se présentera ce soir à l’octroi de Vanves !
Quelques minutes passèrent
avant qu’un homme d’une cinquantaine d’années, richement mais sévèrement vêtu,
pénètre dans la boutique de la diseuse de bonne aventure et expose son cas.
Une heure plus tard, alors
qu’il était sorti, Marie-Adélaïde retournait dans l’échoppe pour y retrouver
une Gilbert et un Flammermont stupéfaits.
— Co… comment fais-tu
cela ? bredouilla la femme.
La jeune fille s’assit à la
même place qu’auparavant, savourant son triomphe :
— Je vous l’ai dit, je sais
l’avenir, tout au moins une partie. J’espère que vous avez bien renseigné ce
monsieur.
La tireuse de cartes reprit ses
esprits :
— Oui, bien sûr, il est
enchanté. Ainsi tu vois réellement l’avenir, mais alors que puis-je t’apprendre
que tu ne saches déjà ?
Marie-Adélaïde expliqua avec
patience :
— Je vous l’ai dit mais vous ne
m’avez pas écoutée. Je dois apprendre à présenter mes prédictions aux clients.
Pour cela, il faut que je me réfugie derrière une de ces pratiques abracadabrantes
que vous affectionnez. Personne ne peut croire qu’un être humain soit capable
tout simplement de voir l’avenir comme moi. Alors que vous, avec vos simagrées,
tout ce décorum, vous pouvez leur raconter les pires absurdités et être crédible !
Tenez, le tarot, je suis sûre que c’est amusant et que même des gens cultivés
vous croient.
La Gilbert contempla
mélancoliquement ses cartes.
— Je sais bien que je n’ai
aucun don et que les figures du tarot, aussi étranges soient-elles, ne veulent
dire que ce que je veux bien, mais tu vois, j’avais presque fini par croire en
mes prédictions. Enfin, soit, petite, tu m’es sympathique. Je t’apprendrai. Tu
pourras même rencontrer des gens connus, des savants. Mais, un bon conseil, ne
révèle jamais ton don à qui que ce soit. Ils ne comprendraient pas. Nous avons
beau être à l’âge des Lumières et libérés de la tyrannie de l’Église et des
monarques, il y en a toujours pour croire qu’il faut brûler les sorcières !
Marie-Adélaïde approuva :
— Bien, madame, je ferai
attention.
— Ah ! une dernière
chose : notre rencontre, tu l’avais prédite ?
Marie-Adélaïde sourit :
— Évidemment. Je savais même
comment vous alliez m’appeler. La Sibylle, c’est un bien beau nom.
La Gilbert tint sa promesse.
Elle lui apprit l’art du tarot. Elle lui présenta de nombreux savants et hommes
de sciences, ainsi le docteur Gall de Londres et Court de Gébelin à Paris. Elle
savait le latin et quelques humanités, aussi les francs-maçons, même s’ils ne
pouvaient pas la recevoir dans leur temple, la fréquentèrent-ils car ils
appréciaient cette jeune fille à l’esprit délié, curieuse de tout et qui
semblait connaître les moindres arcanes de l’avenir. Enfin, elle ouvrit son
propre cabinet au 5 de la rue de Tournon, au rez-de-chaussée de l’immeuble, au
fond de la cour. Flammermont, impressionnant avec sa lignée noire, introduisit
le premier client dans la boutique transformée en sanctuaire de la Sibylle, qui
proposait une consultation à dix, quarante ou quatre-vingts sols.
12
Rapidement, le cabinet de
Marie-Adélaïde prospéra. Elle apprit vite à dire ce qui pouvait l’être et à
cacher ce qui devait être caché, car tout le monde n’est pas suffisamment fort
pour entendre de quoi l’avenir sera fait. D’ailleurs, il importait peu que les
prédictions fussent vraies ou non : l’essentiel était que le client soit
satisfait et que l’argent rentre. À quoi bon, par exemple, révéler à un jeune
soldat qu’il mourrait à la prochaine bataille ? Ne fallait-il pas mieux le
lui cacher, lui prédire une bonne et longue vie, un haut commandement, des
victoires… et
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