la tondue
entendre.
La mère avait pétri la pâte dans “la pastière”, la maie familiale. Mais le poids à soulever avait eu raison de sa résistance. Elle avait pris un “tour de rein” et marchait de travers à la manière d’un crabe, incapable de porter le moindre paillasson. À contrecœur, car c’était son travail favori, elle avait enseigné à Yvette la façon de faire les miches puis l’avait envoyée au four.
« Ah ! gémissait-elle, mon pauvre Joseph avec sa patte folle, et moi, maintenant invalide, il ne nous manquait plus que ça !…
— Ce n’est pas la première fois que cela t’arrive, rétorquait le père, repose-toi ! Yvette te remplacera.
— Et comment veux-tu qu’elle sache, une fille qui vient de la ville ! Ah, mon pain, mon pauvre pain !
— Yvette est assez grande. Et puis, si le pain est raté, mais je ne vois pas pourquoi il le serait puisque c’est toi qui as fait la pâte, nous le mangerons comme il sera. Une fois n’est pas coutume. »
La mère avait donc saisi l’aiguillon et, la démarche cahotante, le pas hésitant, le dos complètement voûté, elle était partie derrière les vaches. Yvette, un paillasson sous chaque bras, se dirigea vers le four.
Plusieurs voyages furent nécessaires pour que les rangées de miches s’alignent à gauche et à droite, sur les tables de pierre qui prolongeaient la voûte.
Paul, le père de Paulette, armé d’une large pelle de bois, enfournait d’un coup sec la boule qu’Èlisa, sa femme, et Yvette posaient à tour de rôle.
Elles décoraient d’un signe distinctif chaque morceau de pâte. Les miches remplissaient le four : à droite celles d’Èlisa, à gauche celles d’Yvette. Quand la dernière fut rentrée, Paul alla chercher un seau de bouse molle et boucha tout le pourtour de la porte du four avec ce mastic naturel et bon marché.
Les femmes rangèrent leurs paillassons et s’en allèrent à leur tour. Èlisa dit à Yvette :
« Tu as bien une minute, viens boire le café. »
La jeune fille acquiesça et suivit Èlisa, qui avait quitté son tablier blanc de farine et le secouait longuement.
« Je dis café, reprit-elle, mais, en fait, il n’y a plus d’orge que de café… Bien que la guerre soit finie, on n’en trouve toujours pas. Et moi, ça me manque. C’était quelque chose que j’aimais, le bon café !… Rien que d’en parler, il me semble que j’en sens l’odeur ! »
Elles pénétrèrent dans une cour toute en longueur en poussant un portail de bois qui cachait au chemin les divers bâtiments de la ferme.
Un large escalier de pierre montait doucement à la maison et se terminait par un balcon entouré de deux piliers qui supportaient un toit de tuiles tombant en auvent face au portail. Une treille envahissante se hissait sur le balcon. Elle s’enroulait autour de tous les murs. Les raisins, encore verts, attiraient une profusion de mouches. Elles s’agitaient et bourdonnaient inlassablement.
« Cet automne qui n’en finit pas nous apporte toutes sortes de bestioles, s’exclama Èlisa en pénétrant dans la cuisine sombre et fraîche. Assieds-toi, que j’ouvre un peu ces volets, on n’y voit goutte, mais ça tient les mouches dehors ! »
Yvette s’assit et regarda Èlisa tisonner le fourneau puis aller chercher une casserole brillante qu’elle posa sur la cuisinière.
« Alors, ça se passe bien, ton retour ? Dis donc, tu as pris des couleurs… C’est vrai qu’au début, tu avais une toute petite mine. » Yvette expliqua qu’elle n’avait eu aucun mal à se réhabituer au pays. En disant cela, elle s’aperçut, avec stupeur, que c’était la vérité ! Elle raconta sa vie à Paris, s’inventa une existence laborieuse, bien loin de ce qu’elle avait connu.
Èlisa l’interrogea sur la guerre, sur la libération de Paris dont avaient parlé tous les journaux. Yvette se lança dans des généralités qui ravirent la curieuse.
« Mais ici aussi, vous avez dû en voir, des choses, pendant la guerre, attaqua-t-elle à son tour. Il me semble que le village a changé.
— Oh, ici, on était assez protégés. À part les soldats allemands ou arméniens qui étaient installés sur le causse, on n’a pas été trop ennuyés.
— Pourtant, Jacques m’a raconté l’histoire de ce couple qui habitait au château et que les Allemands sont venus arrêter !
— Ah oui ! Les Belges… Tu sais, c’étaient des étrangers ; on ne les connaissait pas beaucoup…
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