La Trahison Des Ombres
Dieu seul sait ce qui s’est passé. Ces ténèbres glacées
ont-elles fini par lui faire perdre l’esprit ? Rien ne prouve qu’il y ait
eu lutte, qu’on lui ait attaché les poignets ou qu’on l’ait assommé. Maître
Burghesh a raison, Robert Bellen a dû venir céans dans l’intention de se donner
la mort.
Il tapota le bout de parchemin posé près du
cadavre.
— Il a glissé ceci dans sa manchette, s’est
assuré que l’huis était fermé et est monté au clocher : c’est la cloche
que nous avons ouïe. Burghesh est arrivé et a découvert le drame.
— Bellen aurait-il pu être l’assassin ?
s’inquiéta Ranulf. Il était assez fort pour tuer Molkyn et Thorkle et, étant un
prêtre qui rend visite à ses ouailles, il devait connaître l’existence du
cernel chez Deverell. C’était aussi un flagellant qui expiait des péchés
secrets comme peut-être, par exemple, le meurtre des jeunes femmes. Il se peut,
ajouta-t-il, que le Momeur ait été le vicaire déguisé. Une femme peut bien se
rendre dans la campagne pour rencontrer un prêtre, non ?
— C’est exact, murmura Corbett. Bellen
entendait aussi des confessions. Il devait connaître tous les secrets de la
paroisse et pouvait, à son gré, faire pression sur les gens.
La porte s’ouvrit soudain. Tressilyian et Sir Maurice,
encadrant le père Grimstone sur le point de défaillir, entrèrent dans l’église
sur les talons de Burghesh. Le prêtre jeta un coup d’œil à la dépouille de son
vicaire et gémit ; on dut l’aider à s’asseoir sur une saillie de pierre.
Burghesh prit place à côté de lui et lui parla à voix basse.
— Suicide ? interrogea le juge.
— C’est ce qu’il semble, répondit Corbett.
Sir Maurice, mon palefrenier, Chanson, vous a-t-il apporté un message ?
— Je n’ai rien trouvé, dit Chapeleys en
secouant la tête. J’ai cherché dans les registres de mon père, mais...
Il eut un geste d’impuissance.
Corbett cacha sa déception. Il avait espéré
découvrir des détails sur la mystérieuse peinture, don de Sir Roger à l’église
paroissiale.
— Tant pis, soupira-t-il, occupons-nous du
mort.
Burghesh sortit. Il revint, muni des saintes
huiles et, avec ménagement, parvint à persuader le père Grimstone de réciter
les paroles de l’absolution et d’oindre le corps.
Le clerc surveillait la scène. C’était un fort
triste spectacle que ce jeune prêtre gisant sur les dalles, le visage encore
convulsé par sa mort violente.
— Burghesh, souffla Corbett, j’ai besoin
des clés de la maison. Il faut que je fouille la chambre du vicaire.
— Mais est-ce légal ?
— Non, ça ne l’est pas, reconnut le
magistrat. Mais Ranulf croit que ce jeune prêtre est coupable de tous les
meurtres de Melford. Il peut avoir raison. Si ce n’est...
— Si ce n’est ?
— Rien, répondit Corbett. Pas pour l’instant.
Je vais prendre les clés.
Burghesh les lui tendit à contrecœur. Corbett
fit signe à Ranulf de le suivre. Ils quittèrent l’église et se rendirent au
presbytère. Corbett ouvrit la porte et entra dans un couloir aux agréables
senteurs. Les murs étaient à demi lambrissés ; le bois brillait et
fleurait la cire. Corbett, après avoir allumé des chandelles supplémentaires,
ouvrit grandes les portes et jeta un regard autour de lui. L’endroit était
agréable avec ses chaires capitonnées, ses tables, ses tabourets et ses bancs.
Il entrevit même quelques livres, attachés par une chaîne à une étagère dans la
petite salle. Les marches qui menaient aux chambres étaient larges et cirées
et, dans la cage d’escalier, on avait disposé de petits pots d’herbes
aromatiques. Les fenêtres étaient serties de plomb et quelques-unes garnies de
verre coloré ou peint.
Corbett monta. Le long de la galerie se
trouvaient trois chambres. Celle de Bellen se situait au fond. Elle sentait la
sueur, la bougie et quelque peu le renfermé, aussi le clerc repoussa-t-il les
volets avant d’ouvrir la fenêtre. Il attendit que Ranulf ait allumé les chandelles.
Sous la fenêtre, le lit étroit n’était pas fait. Des robes et d’autres
vêtements étaient éparpillés partout. Une gourde, à présent vide, et une coupe
retournée gisaient sur le plancher. Sur une étagère au-dessus d’une petite
table il y avait quelques volumes reliés en veau : un psautier, un
registre contenant le calendrier des saints et l’ordre ou le rituel des
différentes messes ainsi
Weitere Kostenlose Bücher