La Trahison Des Ombres
grosse canne
à la main. Elle serrait aussi autour de sa gorge une chape qu’elle avait lancée
sur son dos. Elle fit un clin d’œil à Corbett.
— J’ai deux chapes. Celle-ci a été volée.
Il est préférable que le juge royal l’ignore !
— Vous voulez me parler, n’est-ce pas ?
— Oui, Messire, j’aimerais vous parler.
— Où vivez-vous ?
— Dans les ruines de Beauchamp. C’est une
prairie communale, là-bas. Personne ne sait exactement qui possède quoi, alors
on ne peut me chasser.
Elle contempla le magnifique hongre bai du
magistrat.
— Puis-je le monter ? De grâce !
J’ai toujours voulu être une grande dame, bien droite sur sa selle !
Le clerc l’aida, raccourcit les étriers et
rassembla les rênes.
— Vous n’allez point partir au triple
galop, plaisanta-t-il, et prétendre que vous avez trouvé ce cheval qui errait ?
Sorrel se pencha et tapota la joue de Corbett de
sa main calleuse.
— Vous avez la figure d’un prêtre, mate et
rasée de près. Vous nouez vos cheveux sur la nuque comme un soldat. Vos yeux
sont tristes et pourtant vifs. Vous me faites penser à un faucon prisonnier.
Êtes-vous prisonnier, Messire le clerc royal ?
Corbett eut un grand sourire.
— Voilà qui est mieux.
Elle lui rendit son sourire.
— Vous pouvez vraiment plaire aux femmes,
mais vous avez des scrupules là-dessus, n’est-ce pas ?
— J’ignorais qu’il était si aisé de lire
dans mon esprit !
— Oh, ce n’est pas le cas ! Mais c’est
merveilleux tout ce qu’on peut apprendre, assis au coin de l’âtre, à La
Toison d’or. Votre réputation vous a précédé, Sir Hugh Corbett.
Homme du roi en temps de paix comme en temps de guerre. Êtes-vous l’homme du
roi ?
Corbett se remémora le visage dur et ridé d’Édouard,
ses yeux cyniques, sa façon de s’adresser à lui tout en regardant Ranulf comme
si le clerc de la Cire verte était davantage son confident : celui qui,
peut-être, accepterait de bafouer la loi.
— Je m’y efforce, répondit-il. Mais il
commence à faire sombre. J’ai froid, j’ai faim et vous avez un conte à me
narrer.
Il pressa son cheval en allongeant le pas à ses
côtés. Il leva les yeux vers Sorrel, chevauchant comme si elle était une vraie
dame, yeux mi-clos et fredonnant entre ses dents.
— Vous êtes fort avenante, remarqua-t-il.
Quel est votre véritable nom ?
— Sorrel. C’est comme ça que me nommait Furrell.
C’est ce que je suis.
— Et pourquoi vagabondez-vous dans les bois ?
— Je ne vagabonde pas, je cherche,
précisa-t-elle d’une voix dure. Je cherche la tombe de Furrell.
Corbett s’arrêta.
— Êtes-vous sûre qu’il soit mort ?
Elle se frappa la poitrine et le front.
— Sans nul doute. Je veux trouver sa tombe.
Je veux prier
sur son corps. Si je peux retrouver son tombeau, je pourrai peut-être démasquer
son assassin. C’était un homme bon. Moi, j’étais une courantine. J’ai rencontré
Furrell il y a douze ans. Nous avons échangé nos serments sous un if dans le
cimetière. Nous étions mari et femme, proches et liés comme n’importe quel
couple uni à l’église. Oh, comme il était gai ! Il savait jouer du luth et
danser le branle à loisir ! C’était le meilleur des chasseurs et des
hommes des bois. Il savait surprendre un connil, silencieux comme une ombre.
Nous n’avons jamais souffert de la faim et nous vendions ce dont nous n’avions
pas besoin.
— Braconner est une
occupation dangereuse !
— Oh, de temps à
autre un daim ou un agneau égaré qui ne manquait à personne. Et qui en aurait
parlé ? Les paysans à qui nous les cédions ? Alors que c’était de la
viande fraîche dans le pot pour leurs enfants ?
— Et tout a changé ?
suggéra le magistrat.
— Sûr que ça a
changé ! La nuit où Maîtresse Walmer a été assassinée.
— Qui était-ce ?
demanda Corbett.
— Elle demeurait
dans une chaumière à l’autre bout de la ville. Elle était étrange : belle
comme un ange, des cheveux comme le blé mûr et des yeux bleus comme le ciel.
Elle portait toujours une robe un peu trop ajustée. Elle se fardait le visage
et le cou ; ses poignets et ses doigts étaient ornés de colliers, bracelets
et bagues. Personne ne savait d’où elle venait. Geoffrey Walmer était potier,
fort bon potier. Il vendait jusqu’à Ipswich. Il s’était absenté une semaine et
est revenu avec elle. Vous savez comment ça se passe, hein,
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