La Trahison Des Ombres
Repton.
— Vous ne nous avez point parlé de tout
cela, déclara Blidscote.
— Comment l’aurais-je pu ?
Il cilla.
— Mais je ne l’ai pas tuée !
— Et le poignard de Sir Roger ?
questionna Burghesh.
— Je vous l’ai dit. Je suis resté sur le
seuil. Je n’ai touché à rien. Un seul regard m’a suffi. Je suis allé vomir dans
les buissons. Puis je suis revenu céans.
— Avez-vous aperçu Sir Roger ?
L’échevin eut un geste de dénégation. Corbett
repoussa sa chope ; il prit sa besace de cuir, sa chape, son ceinturon et
les fontes de sa selle.
— Vous comprenez, dit-il en souriant au
bailli, je suis ici pour établir la vérité, mais à présent je suis las.
Il souhaita à tous une bonne nuit, traversa la
grand-salle et monta l’escalier.
— Votre maître est un homme étrange, fit
remarquer Burghesh.
— C’est vrai, le vieux « Maître Longue
Figure » est fort étrange, dit Ranulf avec un grand sourire en se levant.
Il se pencha par-dessus la table et éleva la
voix de manière qu’elle porte dans toute la pièce.
— Il est étrange, Sir Hugh ! Il n’a de
cesse d’établir la vérité. Il n’abandonne jamais. Mais, ce soir, il était de
bonne humeur, ajouta-t-il en levant les sourcils.
— Quoi ? demanda Repton. M’aurait-il
tué ?
— Non, rétorqua Ranulf en l’attrapant par l’épaule.
Sir Hugh ne vous aurait point tué mais moi, je l’aurais fait !
Il approcha son visage de celui de son
interlocuteur.
— Et, si cela se reproduit, je n’hésiterai
pas ! Faites-le donc savoir aux habitants de Melford !
CHAPITRE X
— Journée passionnante, Messire.
Ranulf, perché sur un tabouret, sourit,
par-dessus son épaule, à Chanson tapi non loin de l’huis. Corbett était assis
sur son lit près de la petite croisée. Il examina la chambre, confortable et
parfumée. Le grand lit à quatre colonnes au baldaquin décoré et aux courtines
rouge sombre l’intriguait tout particulièrement.
— On dirait une chambre nuptiale,
murmura-t-il. C’est fort agréable ; il y a même des tapis sur le sol.
— Notre tavernier sait au moins comment
traiter les clercs royaux, se gaussa Ranulf.
— Je suis si las, répondit le magistrat,
que je pourrais dormir dans une porcherie. Ne sois pas trop dur avec les
bourgeois de Melford : ils ont peur.
Il regarda le brasero à couvercle placé dans un
coin de la pièce ; le charbon rougeoyait à travers les fentes étroites. De
temps à autre il pouvait sentir l’odeur printanière qui provenait des herbes qu’on
y avait éparpillées. Si Corbett n’avait pas réclamé ce luxe il l’appréciait néanmoins.
— Rien ne vaut un coup de pied bien ajusté,
n’est-ce pas, Messire ?
— Repton s’est conduit en imbécile, je ne
pouvais le tolérer. Bon, je sais ce que vous avez découvert et vous, vous
savez, à présent, ce que j’ai appris.
Ils avaient échangé leurs informations pendant
une heure au moins. L’histoire du Momeur narrée par Ranulf, corroborant celle
de Sorrel, avait retenu l’attention de Corbett.
— Que vous a-t-on envoyé de Westminster ?
s’enquit Ranulf.
— Un compte rendu du procès devant le Banc
du roi. Le reste était les résultats d’une petite enquête que j’avais
organisée. Jamais auparavant, dit le magistrat en agitant la main, Sir Roger,
alors qu’il servait dans les armées royales en maints endroits, n’a été accusé
d’avoir attaqué ni forcé des femmes. Vous n’ignorez pas que quand les troupes
se trouvent en territoire ennemi, les hommes qui aiment violer les femmes
sautent avec délectation sur l’occasion. J’ai assisté à au moins cinq ou six
pendaisons au pays de Galles pour viol et enlèvement.
— Que voulez-vous dire par délectation ?
s’étonna Chanson.
— Quand nous rentrerons à Londres, Chanson,
Ranulf t’emmènera aux bains de Southwark et te présentera quelques-unes de ses
amies.
— Des catins ? Il m’en a parlé.
— Aucune femme n’est une catin ! coupa
Ranulf. Je les nomme mes dames de la nuit. Tu n’as jamais posé les yeux sur
plus joli bouquet de damoiselles !
— Tu devrais leur parler, reprit Corbett.
Elles t’expliqueront qu’il existe un certain genre d’hommes qui ne peuvent
prendre du plaisir qu’après avoir battu leur partenaire. Les dames de la nuit
leur font payer un tel privilège. À la dernière Saint-Michel, nous avons reçu l’émissaire
français, Messire
Weitere Kostenlose Bücher