La Trahison Des Ombres
devrions-nous
faire monter Maître Blidscote et Maître Deverell dans une carriole pour les
conduire à Londres.
— Cela ne me semble point une bonne idée.
Corbett desserra les lacets du col de sa
chemise.
— Ils nous avoueraient, au mieux, qu’ils
avaient été subornés. L’assassin, celui qui exerçait des pressions, abordait
sans doute ses victimes en silence et de façon furtive.
Il soupira.
— Quant à celui de Molkyn et de Thorkle, il
y a deux possibilités. D’abord il est possible que le Momeur ait voulu les
faire taire. Tous deux avaient peut-être des scrupules et se sentaient
coupables, bien qu’il n’y ait nulle preuve. En fait, d’après le peu que je sais
de Molkyn, cela paraît tout à fait improbable.
— Et en second lieu ? s’enquit Ranulf.
— Il y a un autre criminel à Melford.
Quelqu’un qui n’ignore pas à présent que Sir Roger était innocent, soit parce
qu’on a découvert des preuves, soit, plus simplement, parce que ces meurtres
ont repris. Cet homme, ou cette femme, comprend quelle terrible erreur
judiciaire a été commise et a bien l’intention de venger la mort de Chapeleys.
Corbett se mordilla les lèvres.
— Oui, ce doit être un ange vengeur, d’où
les avertissements gribouillés sur la tombe de Sir Roger et le gibet.
— Et qui peut être cet ange vengeur ?
questionna Chanson.
— Eh bien, la liste est interminable.
Peut-être les prêtres, qui peuvent avoir entendu quelqu’un en confession. Ou le
fils de Chapeleys, Sir Maurice, désireux de laver le nom de son père. Oh, Dieu
seul le sait ! Ça pourrait même être leurs épouses.
— Leurs épouses ! s’exclama Ranulf.
— Je t’assure. Je les ai rencontrées ce soir.
Crois-moi, Ranulf, si un assassin me coupait la gorge, et si Lady Maeve se
montrait aussi peu affligée que ces deux-là, fit-il en souriant, j’aurais fort
envie de revenir la hanter ! Je n’ai jamais vu de veuves comme celles-ci.
Que le Christ me pardonne, elles étaient presque heureuses que leurs maris
soient au fond de la tombe ! Je pressens qu’Ursula a dû avoir des rapports
plus intimes avec Sir Roger que n’aurait apprécié son époux. Et, sans aucun
doute, Lucy, la femme de Thorkle, fait les yeux doux au fils du meunier. Celle
que j’aurais voulu interroger, ce que d’ailleurs j’ai bien l’intention de
faire, c’est la jeune Margaret.
— Pourquoi ?
— Pourquoi, Chanson ? Parce que j’ai
des soupçons. D’une façon ou d’une autre elle en sait long. C’est la fille de
Molkyn, la compagne de la veuve Walmer et elle haïssait son père.
— Tant de théories ! murmura Ranulf.
Tant de pistes ! Laquelle suivre ?
— Je l’ignore.
Le magistrat écarta les bras.
— Il y a moult possibilités. Le meurtrier d’il
y a cinq ans est-il responsable de ces deux derniers trépas ? De ceux de
Molkyn et Thorkle, de l’agression contre Tressilyian, des messages secrets ?
Ou y a-t-il deux, voire même trois assassins ? Le tueur aux jets et le
Momeur sont-ils une seule et même personne ? Comment le criminel, malgré
toutes nos hypothèses, a-t-il entraîné ses victimes dans un coin si écarté ?
Pourquoi Maîtresse Walmer a-t-elle été supprimée ?
Qu’en est-il de Furrell ? Blidscote, Deverell, Molkyn et Thorkle
étaient-ils corrompus ? Si oui, pourquoi et par qui ?
Corbett se leva, ôta son justaucorps, se dirigea
vers le lavarium et s’aspergea le visage. Il se sécha à l’aide d’une toaille
blanche.
— Nous devrions interroger Maître Deverell,
mais on en apprendra autant qu’en s’adressant à la colonne de ce lit ! Je
pourrais retourner au moulin et, bien sûr, il y a aussi les deux prêtres.
Demain, Chanson, Ranulf m’accompagnera. Toi, tu iras quérir Maître Blidscote et
le conduiras au Guildhall. Je veux savoir s’il y a eu d’autres rapports au
sujet de jeunes femmes qui auraient disparu ces dix dernières années.
— Et nous ? s’inquiéta Ranulf.
— Nous irons à la première messe à St
Edmund.
Le regard fixé sur le sol, Corbett révéla :
— On m’a attaqué ce soir. Je ne comprends
pas pourquoi, pas plus que je ne comprends ce qui est arrivé au juge
Tressilyian. Sous la surface calme de cette ville bouillonnent passions
sanguinaires et désirs de meurtre. J’ai besoin d’une messe. Il faut que je
reçoive les sacrements.
Ranulf observa son étrange maître.
— Dans quelques jours, poursuivit le
magistrat, nous
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