La traque d'Eichmann
susceptibles d’expliquer le retard de ses hommes, depuis leur arrestation par la police jusqu’au succès total de l’opération.
Quand il aperçut Shalom et Aharoni, débraillés, épuisés, il sut à quoi s’en tenir. L’œil brillant d’excitation, ils vinrent s’asseoir à sa table ; Shalom lui dit sans attendre qu’ils avaient capturé Klement et que celui-ci, sans l’ombre d’un doute, était bien Adolf Eichmann.
« Dès que je vous ai vus, répondit Harel, j’ai compris que vous aviez réussi. Racontez-moi dlxv . »
Shalom fit le récit de l’opération dlxvi . Aharoni fut décontenancé par les félicitations presque silencieuses de son chef et par sa raideur au moment d’écouter les détails de la mission. Shalom, qui avait travaillé plus souvent avec Harel, savait qu’il se concentrait déjà sur l’étape suivante : le transfert d’Eichmann vers Israël.
La réunion fut de courte durée. Harel se rendit dans un restaurant tout proche où l’attendait un sayan recruté par Ilani. À la façon dont tel livre convenu était disposé sur la table, il reconnut son contact, « Meir Lavi ». Lavi s’était déplacé de café en café pendant des heures, comme Harel, sans savoir qui devait l’aborder ni ce qu’on attendait de lui.
Harel le salua et, sans se donner la peine d’entamer une conversation, demanda à Lavi de se rendre chez Ilani pour lui dire : « La machine à écrire est en bon état dlxvii . »
« C’est tout ? » demanda Lavi, déçu d’avoir passé tant d’heures à attendre ce message d’apparence fantaisiste dlxviii .
Il comprit au regard de Harel que la mission était très sérieuse.
« J’y vais de ce pas », conclut Lavi.
Le message de Harel à Ilani, qui signifiait qu’Eichmann avait été capturé, devait être transmis au quartier général du Mossad, puis à David Ben Gourion et à sa ministre des Affaires étrangères, Golda Meir.
Au lieu d’arrêter un taxi, Harel se rendit à pied à la gare ferroviaire pour y récupérer sa valise. Parcourant les rues de Buenos Aires dans l’air frais du soir, il se laissa doucement envahir par la conscience de leur plein succès et, pendant un instant, s’autorisa même à s’en réjouir.
Dans la maison de la rue Garibaldi, cependant, Vera Eichmann attendait le retour de son mari dlxix . Elle savait qu’il rentrerait plus tard que d’habitude à cause de sa réunion syndicale, mais il était presque minuit et elle commençait à s’inquiéter. Son mari avait une vie très routinière, et il aurait dû être au lit depuis longtemps. Il avait dû se passer quelque chose.
Une voiture était passée à toute allure devant la maison, vers 20 heures, mais, pour le reste, elle n’avait rien remarqué d’inhabituel. Il avait peut-être eu un accident, il se trouvait peut-être à l’hôpital. Mais elle songeait surtout au pire, à ce qu’elle redoutait depuis toujours : les hommes qui étaient à la recherche de son mari l’avaient peut-être retrouvé. Elle avait fini par se convaincre – comment faire autrement ? – qu’il n’était pas coupable des crimes atroces dont elle avait lu la liste dans les journaux. Elle avait choisi la crédulité pour apaiser sa conscience, sans pour autant remettre en cause la nécessité de se cacher en Argentine.
Il ne lui restait plus qu’à informer ses fils de ce retard inquiétant. Ils allaient lancer des recherches, le retrouver, le ramener.
À minuit, Malkin alla frapper doucement à la porte ouverte d’Eitan.
« J’y retourne dlxx », dit-il à son chef d’équipe qui se tournait vers lui.
Juste avant l’interrogatoire d’Eichmann, il s’était rendu compte que le nazi ne portait pas ses lunettes. Il avait fouillé la limousine, en vain. Depuis, il s’était demandé ce qui se passerait si quelqu’un trouvait les lunettes rue Garibaldi. Vera Eichmann aurait la preuve immédiate que son mari venait d’être enlevé, et pourrait ainsi convaincre la police de lancer une enquête – sans même avoir à révéler la véritable identité de celui-ci.
« Je ne suis pas persuadé que ça en vaille la peine, dit Eitan après avoir envisagé les risques.
— Écoute, je peux m’en charger seul. Tu sais bien que je ne prendrai aucun risque inutile. »
Eitan finit par donner son accord, et Malkin quitta Tira pour se rendre en voiture à San Fernando, où il prit un bus de nuit. La plaine était battue par un vent froid et
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