La traque d'Eichmann
mentir.
« Quel était votre numéro d’adhérent au Parti national-socialiste ? » demanda Aharoni sur le même rythme soutenu, ne laissant au captif aucune chance d’inventer un mensonge ou de gagner du temps.
Celui-ci répondit sans hésiter : « 889895. » C’était bien le numéro d’Eichmann. Cet aveu essentiel avait été formulé sans détour, comme si on l’avait interrogé sur la couleur de ses yeux.
« Et votre numéro dans la SS ?
— 45326. »
Klement était donc bien Eichmann. La chose ne faisait aucun doute, mais Aharoni voulait à présent l’entendre de sa bouche. Il jeta un coup d’œil à Shalom qui, de l’autre côté du lit, était tout aussi impatient que lui d’entendre Eichmann admettre sa véritable identité. Puis il reprit :
« À quelle date êtes-vous arrivé en Argentine ?
— En 1950.
— Quel est votre nom ?
— Ricardo Klement. »
Il résistait encore, mais ses mains tremblaient légèrement. Il avait sans doute compris qu’il s’était déjà trahi en donnant son numéro de militant nazi.
« Votre numéro était bien le 45326 ?
— Oui.
— Votre date de naissance ?
— 19 mars 1906.
— Lieu de naissance ?
— Solingen. »
On approchait du but, Aharoni le savait. Il demanda avec fermeté :
« Quel nom portiez-vous à votre naissance ?
— Adolf Eichmann. »
Une profonde joie envahit toute l’équipe pendant qu’Aharoni et Shalom se serraient chaleureusement la main par-dessus le prisonnier dlxii . Plus tard, Gat devait décrire ce moment comme l’apparition du soleil en pleine nuit. Ils tenaient leur homme.
Quelques secondes après son aveu, Eichmann reprit la parole sur un ton presque obséquieux : « Vous comprendrez aisément que je suis assez nerveux. J’aimerais vous demander un verre de vin, rouge si possible, pour m’aider à contenir mes émotions. »
Aharoni répondit qu’on allait lui apporter quelque chose à boire.
« Quand vous m’avez dit de me tenir tranquille, dans la voiture, j’ai aussitôt compris que j’étais entre les mains des Israéliens. Je parle un peu l’hébreu. Je l’ai appris auprès du rabbin Léo Baeck. Sh’ma Yisrael, Ha’Shem Elokeinou …»
Aharoni le fit taire : il n’était pas question d’entendre Adolf Eichmann réciter la prière la plus sacrée de la religion juive, celle que les fidèles disent matin et soir, celle que l’on récite à l’heure de sa mort. Des millions de Juifs l’avaient prononcée précisément à cause d’Eichmann. Tous quittèrent la pièce pour apaiser leur colère et éviter de s’en prendre au prisonnier.
Quand ils furent calmés, Aharoni reprit le fil de ses questions pendant une bonne heure. Il demanda au captif des détails relatifs à sa famille : date et lieu de naissance de ses fils et de ses frères, de sa femme et d’autres membres de sa famille. Ils savaient déjà qu’ils détenaient bien Eichmann, mais ces détails qu’il était seul à connaître l’empêcheraient un jour de prétendre qu’on lui avait arraché sous la torture l’aveu de son identité.
Plus tard, Eitan mit fin à l’interrogatoire. Il fallait encore rapporter à Harel les événements de la soirée : nul doute qu’il avait hâte de connaître le résultat de l’expédition, et de savoir si Klement avait admis sa véritable identité.
Shalom et Aharoni commencèrent par garer la limousine Buick dans un parking du centre-ville, à charge pour Medad de la récupérer le lendemain et de la rendre en même temps que la Chevrolet dlxiii . Medad devait raconter aux deux agences de location que son épouse était malade et qu’il aurait besoin, dans deux semaines, de louer à nouveau la même voiture (sans avoir à débourser 5 000 dollars). Si la police recherchait les véhicules, elle les trouverait ainsi au fond du parking des agences de location ; en consultant la transaction, elle remonterait à un personnage créé de toutes pièces par Shalom Dani. Pendant l’interrogatoire du prisonnier, Tabor avait effacé de la voiture la moindre empreinte digitale, démonté la banquette à charnières et retiré le mécanisme permettant de changer les plaques d’immatriculation.
Ils arrivèrent devant le café peu avant minuit dlxiv . Leur chef était en train de régler l’addition pour aller se poster dans un autre café, comme prévu. Au cours des dernières heures, il avait imaginé tous les cas de figure, tous les incidents
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