La traque d'Eichmann
milles nautiques plus loin, l’avion s’établit à 2 000 pieds de hauteur. Wedeles allait contacter la tour de contrôle pour confirmer sa position quand l’appareil troua enfin la couche de nuages. C’est alors que le pilote vit devant lui une vaste étendue verte : l’avion se dirigeait droit sur une montagne couverte d’arbres. Wedeles tira aussitôt sur le manche pour redresser le nez de l’appareil, tout en faisant monter les moteurs à plein régime pour éviter de caler. L’avion se redressa, évitant de justesse le sommet des arbres. Tous les passagers étaient collés aux hublots, quelques mètres à peine au-dessus de la forêt.
« Mon Dieu ! Les Brésiliens comptent en mètres, pas en pieds ! » s’exclama l’un des copilotes tandis que Wedeles continuait à survoler la forêt. Les Israéliens mesuraient l’altitude en pieds, comme c’était la règle en Europe, aux États-Unis, au Moyen-Orient et en Afrique. Si la couche nuageuse s’était trouvée 30 mètres plus bas seulement, l’accident aurait été inévitable.
Dix minutes plus tard, le 19 mai à 7 h 05, le Britannia se posa sans encombre sur la piste d’atterrissage dcxlv . Pour les Israéliens, les problèmes ne faisaient que commencer.
Tohar souhaitait repartir dès que l’avion serait ravitaillé, dans une heure au plus. À l’aéroport de Recife, les passagers découvrirent avec surprise qu’ils étaient attendus : on avait déroulé le tapis rouge en leur honneur, et ils furent accueillis par un orchestre local et par des centaines de curieux. Des représentants de la communauté juive étaient venus fêter leur arrivée. Le directeur de l’aéroport, dans un uniforme amidonné couvert de médailles, souhaita la bienvenue aux « visiteurs d’outre-Atlantique venus découvrir le merveilleux Brésil ».
Après cette réception inattendue, l’équipage et la délégation allèrent se dégourdir les jambes et boire un café dans le bâtiment principal de l’aéroport. Certains achetèrent des souvenirs et quelques fruits aux vendeurs ambulants qui longeaient la barrière délimitant la piste d’atterrissage. Une demi-heure plus tard, quand Shaul et son copilote Gady Hassin voulurent pénétrer dans la tour de contrôle, où ils devaient enregistrer leur plan de vol et recevoir le bulletin météo de la journée, un soldat les empêcha brutalement d’entrer en hurlant : « On ne passe pas ! » Derrière sa carabine, le militaire ne se laissa nullement impressionner par la stature imposante de Shaul, colosse de 2 mètres au regard bleu et glacial. Hassin alla chercher Tohar, mais rien n’y fit : « Le commandant est en train de dormir. Personne ne doit le déranger. »
Les Brésiliens avaient peut-être eu vent de l’objectif réel du vol d’El Al, songea Tohar ; pour ne pas envenimer la situation, il fit demi-tour sans insister.
C’est alors qu’un serveur de la cafétéria du terminal vint à sa rencontre. Il devait avoir un peu moins de 30 ans et travaillait sans doute pour le Mossad – qui avait dû prévoir ce type d’incident. Il s’adressa brièvement au garde dans un portugais parfait, puis dit à Tohar : « Soyez patient. Je vais en ville, et j’espère revenir dans une demi-heure avec une solution. » Sur quoi il enfourcha une bicyclette et s’éloigna.
Trente minutes plus tard, un homme d’un certain âge entra dans le terminal, un sac de cuir à la main. C’était le secrétaire du centre local de la communauté juive. S’étant approché du soldat, il lui dit qu’il avait un message pour le commandant. Le soldat disparut avec le sac, et quelques minutes plus tard on vit apparaître son supérieur. D’un geste théâtral, il gifla le soldat à deux reprises en marmonnant un juron. Puis, se tournant vers Tohar :
« Capitaine, pourquoi ne m’avoir pas dit que vous souhaitiez me parler ? »
C’est ainsi que les Israéliens, après avoir payé le pot-de-vin requis, purent accéder à la tour de contrôle et enregistrer leur plan de vol. Trois heures et vingt-six minutes après son atterrissage à Recife, le Britannia remonta la piste de décollage et s’éleva gracieusement dans les airs.
Sur le chemin de l’aéroport, où ils comptaient attendre l’arrivée du vol El Al, Shalom et Aharoni constatèrent que la ville entière se préparait fébrilement aux festivités dcxlvi . Il y avait des drapeaux aux fenêtres, des foules dans les rues et les cafés, des
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