La Traque des Bannis
perdition.
Horace acquiesça, le visage assombri. Le spectacle qui s’offrait à eux était en effet terrible : La Griffe , qui fendait les eaux avec agilité quelques instants plus tôt, était à présent un amas de boisbrisé, presque une épave. Le jeune chevalier savait cependant que ses marins avaient voulu réserver un sort similaire à l’équipage du Moineau .
Sur ordre du capitaine, quelques rameurs quittèrent leurs bancs pour jeter à la mer des tonneaux qui dérivèrent peu à peu vers le navire qui sombrait.
Puis le capitaine se retourna vers Halt.
— Mes hommes doivent reprendre leur poste, maintenant. Sinon, nous finirons comme La Griffe .
— Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour eux, approuva le vieux Rôdeur. Partons d’ici.
Les marins recommencèrent à ramer. Lentement, Le Moineau s’éloigna des dangereux brisants – de justesse, cependant, car la proue passa à quelques mètres seulement des rochers ; ce dont l’équipage ne se rendit compte qu’après coup. Horace réprima un frisson en se demandant comment ils avaient pu les éviter, sans pouvoir s’empêcher d’imaginer le navire en train de s’écraser contre le récif et l’équipage balayé dans toutes les directions tandis que les vagues déferlaient sur le pont. Soudain, il sentit le vent s’apaiser sur sa droite, remplacé par une rafale sur sa gauche, puis par une légère brise : le vent avait changé, exactement comme le capitaine l’avait décrit !
— Dépêchons ! hurla ce dernier.
Ses marins se précipitèrent vers les drisses pour hisser laborieusement la grand-voile, qui se gonfla avec un bruit assourdissant. Le Moineau , désormais poussé par le vent, s’éloigna peu à peu de l’écueil.
****
Le capitaine guida le navire jusqu’à la rive sud de la large embouchure de la rivière, proue face à la plage de sable pour que Le Moineau s’immobilise sans heurts. Tandis que l’équipage accrochait une courroie de toile au mât afin de faire descendre les chevaux à terre, le capitaine s’en prit à Halt.
— Vous auriez dû me dire qu’O’Malley était votre ennemi ! lança-t-il d’un ton accusateur.
Chose étonnante, le vieux Rôdeur acquiesça.
— C’est vrai. Mais vous n’auriez jamais accepté de nous conduire jusqu’ici.
Le capitaine, qui s’apprêtait à protester, se ravisa, se souvenant de l’habileté exceptionnelle des deux archers. Peut-être valait-il mieux ne pas se montrer trop irrité face à de tels individus.
Remarquant l’hésitation du capitaine, Halt posa gentiment la main sur son bras : il comprenait sa réaction. Il fallait bien admettre qu’il s’était servi de lui et de son équipage, et qu’il les avait tous mis en danger.
— Je suis prêt à vous payer davantage, reprit le Rôdeur, contrit. Néanmoins, j’ai besoin de tout l’or que j’ai sur moi.
Il réfléchit un instant, puis ajouta :
— Apportez-moi de quoi écrire.
Le capitaine se rendit dans la cabine située à la poupe. Il en ressortit quelques minutes plus tard, avec un bout de parchemin aux bords abîmés, une plume et une bouteille d’encre. Il n’avait aucune idée de ce que Halt comptait faire.
Ce dernier regarda autour de lui et alla appuyer la feuille sur le gaillard d’avant, le capitaine sur ses talons. Il eut de la difficulté à ouvrir la bouteille, dont le couvercle était couvert d’encre sèche.
— Comment vous appelez-vous ? demanda le Rôdeur.
— Keelty, répondit le capitaine, non sans surprise. Ardel Keelty.
Halt écrivit quelques lignes, recula pour se relire, la tête légèrement inclinée, puis parut satisfait. Il apposa sa signature, élégante, et secoua le parchemin pour faire sécher l’encre. Il le tendit ensuite au capitaine, qui l’examina en haussant les épaules.
— Je ne suis pas très doué pour ce genre de chose, avoua-t-il.
Cela expliquait l’état de la plume et de la bouteille d’encre, songea le Rôdeur. Il reprit le document et le lut à haute voix :
— « Le capitaine Keelty et l’équipage du Moineau ont joué un rôle important en coulant le célèbre bateau de contrebande La Griffe , au large des côtes de Picta. Je souhaite que ces hommessoient récompensés comme ils le méritent par une somme prélevée dans les coffres royaux. Signé : Halt, Rôdeur d’Araluen. » Cette missive s’adresse au roi Sean. Allez la lui remettre, vous ne le regretterez pas.
— Le roi Sean ? s’exclama le capitaine, sarcastique.
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