La Traque des Bannis
rassuré de voir que ce dernier s’était apaisé. Alors qu’il se relevait, il ne put réprimer une grimace de douleur : il s’était cogné un orteil en tapant dans le seau. Il aurait mal un jour ou deux, se dit-il avec philosophie. Un comédien se devait parfois de supporter ce genre de petit inconvénient, nécessaire à l’exercice de son art.
Il prit le seau, puis, traversant le campement, alla discrètement ramasser son épée et prit soin de la tenir le long du corps. Avec un peu de chance, celui qui l’épiait ne s’en apercevrait pas.
Adoptant une démarche nonchalante, Horace prit le chemin de l’étang. Il descendit la pente douce menant à la rive et, dès que l’horizon eut disparu de son champ de vision, il se retrouva, par la même occasion, hors de vue de l’espion. Il s’accroupit et posa le seau près de lui. Toujours baissé, il alla se réfugier sous les arbres, où il s’allongea sur le ventre. À l’aide de ses coudes et de ses genoux, il se mit àramper avec prudence dans les broussailles. Dès qu’il aperçut la crête, il s’immobilisa.
Il balaya la colline du regard, s’arrêtant sur chaque petit détail ; au bout de quelques minutes, il finit par entrevoir un mouvement du coin de l’œil. Le chevalier aperçut distinctement une tête et des épaules, et crut deviner que l’homme portait du mauve.
— Tu es donc revenu… marmonna-t-il.
Comment s’approcher du Génovésien à son insu ? Il lui aurait fallu un fossé le long duquel avancer, songea-t-il, mais il n’y en avait aucun entre l’étang et la colline. Il regretta de ne pas avoir suivi un entraînement de Rôdeur : il aurait été assez habile pour se mouvoir en toute discrétion entre les hautes herbes. Même si Halt lui avait donné une cape de camouflage, Horace savait qu’il ne serait pas à la hauteur de cette tâche. Et l’idée de rejoindre un arbalétrier chevronné en traversant un terrain découvert ne l’enchantait guère.
En outre, cela lui prendrait trop de temps. Le Génovésien devait s’attendre à le voir réapparaître au campement au bout de quelques minutes, avec un seau plein. S’il devenait soupçonneux, comment réagirait-il ? Horace préféra rester prudent ; mieux valait feindre de ne pas avoir repéré l’espion. Il se doutait néanmoins que la nuit à venir serait longue, car il lui faudrait monter la garde.
De retour au campement, il chassa de son esprit le problème que posait le Génovésien : en son absence, Halt s’était réveillé et Horace fut ravi de voir que, cette fois, le vieux Rôdeur était lucide. Lorsqu’ils se mirent à bavarder, Halt donna l’impression de savoir où il se trouvait et ce qui lui était arrivé. Comme il avait la gorge sèche, le jeune guerrier lui prépara une tasse de tisane ; tandis que Halt buvait le breuvage revigorant, son visage reprit des couleurs.
— Où est Will ? demanda-t-il au bout d’un moment. Je suppose qu’il est parti à la poursuite de Tennyson ?
— Non. Il est allé chercher Malcolm. Le guérisseur du bois de Grimsdell, précisa-t-il en voyant la mine intriguée du Rôdeur.
Ce dernier afficha un air désapprobateur.
— C’est une erreur, répondit-il. Il aurait dû me laisser me débrouiller seul. Traquer les Bannis est autrement plus important. Ils doiventêtre à des kilomètres d’ici, à présent ! Depuis quand suis-je dans cet état, dis-tu ?
— Ce fera trois jours demain, reconnut Horace.
Le visage de Halt s’assombrit davantage.
— C’est trop. Ils vont vous fausser compagnie. Will n’aurait pas dû perdre son temps à aller chercher Malcolm.
Le guerrier réfléchit à ce que Halt venait de lui dire. Ils vont vous fausser compagnie . À croire que le Rôdeur s’était déjà résigné à ne plus pouvoir se joindre à ses jeunes compagnons pour repartir à la poursuite de Tennyson.
Horace hésita à lui parler du Génovésien qui les surveillait – car si celui-ci était dans les parages, cela signifiait que Tennyson ne devait pas se trouver très loin –, puis résolut de n’en rien faire : il était inutile de fournir de nouvelles causes d’inquiétude à Halt. Il préféra demander :
— Qu’auriez-vous fait, à la place de Will ? L’auriez-vous abandonné afin de suivre les traces de Tennyson ?
— Bien sûr ! se hâta de répliquer Halt.
Sa voix sonnait pourtant faux et Horace le fixa en levant un sourcil. Cela faisait longtemps qu’il avait envie d’imiter cette expression
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