La Vallée des chevaux
C’est mon totem qui me les a envoyés, songea-t-elle, pour que
je me dirige vers l’ouest. Il voulait me conduire jusqu’à cette vallée. Il en
avait assez de voyager et, lui aussi, il voulait retrouver un foyer. Ce lieu a
servi de tanière à des lions des cavernes, il s’y sent bien. Il est toujours à
mes côtés ! Il ne m’a pas abandonnée !
Ayla ressentit soudain un immense soulagement. Elle essuya ses
larmes et défit en souriant le cordonnet qui fermait le petit sac. Après
l’avoir vidé sur ses genoux, elle examina un à un les talismans qu’il
contenait.
Pour commencer, il y avait un morceau d’ocre rouge. Tous les
membres du Clan possédaient un fragment de la pierre sacrée dont ils héritaient
le jour où Mog-ur révélait leur totem. D’habitude, ils n’étaient encore que des
nourrissons quand cette cérémonie avait lieu. Tandis qu’Ayla avait cinq ans
quand elle avait appris quel était son totem. La cérémonie s’était tenue peu
après qu’Iza l’eut recueillie et que Creb eut annoncé qu’elle faisait partie du
Clan.
Elle possédait aussi l’empreinte fossilisée d’un gastéropode. On
aurait dit un coquillage, mais en pierre. Ce fossile était le premier signe envoyé
par son totem pour lui dire qu’elle avait le droit de chasser avec sa fronde, à
condition de ne s’attaquer qu’aux prédateurs. Elle n’avait pas le droit de tuer
des animaux comestibles car, comme elle chassait en cachette, elle ne pouvait
les rapporter à la caverne. Cette règle avait eu du bon : les prédateurs
étant rusés et dangereux, ils l’avaient obligée à une plus grande habileté.
Le troisième objet qu’elle conservait précieusement était un
talisman de chasse, une petite rondelle découpée dans de l’ivoire de mammouth
et teintée d’ocre, que Brun lui avait donné lors de l’impressionnante cérémonie
qui avait fait d’elle la Femme Qui Chasse. Ce jour-là, Creb lui avait incisé la
gorge et avait recueilli son sang en signe de sacrifice aux Anciens et elle avait
encore à la base du cou une petite cicatrice.
Quand elle saisit les trois nodules de pyrite de fer, elle dut
faire un immense effort pour ne pas pleurer et les tint serrés un long moment
dans son poing fermé. Ces pierres avaient une signification toute
particulière : son totem les lui avait envoyées pour lui dire que son fils
vivrait.
La dernière pierre qu’elle examina était de couleur noire et il
s’agissait d’un morceau de pyrolusite. C’est Mog-ur lui-même qui la lui avait
remise quand elle était devenue guérisseuse et en la recevant Ayla avait hérité
d’une partie de l’esprit de chaque membre du Clan. En repensant à cette
cérémonie, elle fut soudain bouleversée. Cela signifie-t-il qu’en me maudissant
Broud a maudit du même coup tous les membres du Clan ? se demanda-t-elle.
Quand Iza est morte, Creb a rappelé les esprits pour qu’elle ne les emporte pas
avec elle. Mais, dans mon cas, personne ne les a rappelés.
Un sinistre pressentiment l’envahit brusquement. Elle se sentait
aussi désorientée que la nuit où elle avait assisté à la cérémonie présidée par
Creb lors du Rassemblement du Clan, quand le grand sorcier avait compris à quel
point elle pouvait être différente. Elle avait les oreilles bourdonnantes, des
fourmillements dans les membres, envie de vomir. Elle avait une peur atroce de
ce que sa mort pouvait signifier pour l’ensemble du Clan.
S’efforçant de chasser ce malaise, elle replaça tous ses
talismans dans le sac et y ajouta le cristal de roche. Creb lui ayant dit
qu’elle mourrait, si elle perdait son amulette, elle vérifia la solidité de la
lanière avant de la remettre autour de son cou.
Elle resta un long moment encore assise au soleil à se demander
ce qu’avait été sa vie avant qu’elle soit recueillie par le clan. Elle n’avait
gardé aucun souvenir de cette période. La seule chose qu’elle savait, c’est
qu’elle était différente : trop grande, trop pâle et avec un visage qui ne
ressemblait pas à celui des membres du Clan. Un jour, en se regardant dans un
étang, elle avait réalisé à quel point elle était laide. Broud lui avait
souvent dit qu’elle était affreuse et tous pensaient la même chose. Elle
n’était qu’une grande femme laide : aucun homme ne voudrait jamais d’elle.
Mieux vaut rester dans cette vallée, songea-t-elle. A quoi bon repartir à la
recherche des Autres ? Laide comme je suis, aucun
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