La Vallée des chevaux
qu’ils soient parfaitement lisses. Ensuite, comme
elle l’avait tant de fois vu faire par les hommes du Clan, elle prit un des
épieux et, s’en servant comme d’une toise, y porta une marque juste au-dessus
de sa tête. Elle pénétra dans la caverne et plaça l’extrémité qui portait la
marque dans le feu. Elle fit tourner plusieurs fois l’extrémité de l’épieu et
quand celle-ci fut bien noire, elle se servit de son grattoir denticulé pour faire
sauter la partie carbonisée. Elle renouvela l’opération jusqu’à ce qu’elle
obtienne une pointe durcie au feu. Elle fit de même pour le second épieu.
Quand Ayla eut terminé, il faisait nuit depuis longtemps. Elle
était fatiguée et s’en félicita : elle aurait moins de mal à s’endormir.
Elle couvrit son feu et se dirigea vers l’ouverture de la caverne. Elle
contempla un court instant la voûte étoilée en cherchant une bonne raison de ne
pas aller se coucher car, pour elle, c’était le moment le plus difficile de la
journée. N’en trouvant pas, elle se dirigea à pas lents vers sa couche. Elle
avait creusé près d’une des parois une fosse peu profonde qu’elle avait remplie
d’herbes sèches et c’est là qu’elle dormait, enveloppée dans sa fourrure. Elle
s’y allongea et, les yeux fixés sur la faible lueur du feu, tendit l’oreille.
Autour d’elle, tout était silencieux. Personne ne faisait bruire
les herbes de sa couche, aucun couple ne gémissait dans un foyer tout proche,
pas le moindre ronflement ou grognement. Elle ne percevait que le souffle de sa
propre respiration. N’y tenant plus, elle alla chercher le vêtement qu’elle
utilisait pour porter Durc, en fit une boule qu’elle serra contre sa poitrine
et, le visage baigné de larmes, s’allongea. A force de pleurer, elle finit par
s’endormir.
Le lendemain matin, quand Ayla se réveilla, elle s’aperçut
qu’il y avait du sang sur ses jambes. Elle fouilla dans ses affaires pour y
chercher les bandes absorbantes et la ceinture qui lui permettait de les
maintenir en place. A cause de nombreux lavages, les bandes avaient perdu toute
souplesse. Elle aurait dû les brûler la dernière fois qu’elle s’en était
servie. Mais par quoi les remplacer ? Elle songea soudain à la peau du
lapin qu’elle avait préparée le lendemain de son arrivée dans la vallée. Elle
l’avait mise de côté en pensant l’utiliser lorsque l’hiver serait là. Mais elle
aurait l’occasion de tuer d’autres lapins. Alors, autant s’en servir tout de
suite.
Après avoir découpé la peau en larges bandes, elle descendit
vers la rivière pour se baigner. J’aurais dû savoir que cela allait venir, se
disait-elle. Et j’aurais dû prendre des précautions. Maintenant que je saigne,
je ne vais plus rien pouvoir faire, excepté...
Elle s’interrompit soudain et éclata de rire. La malédiction qui
pesait sur les femmes du Clan pendant quelques jours par mois n’avait plus
aucune importance ici. Personne n’allait lui rappeler qu’elle n’avait pas le
droit de lever les yeux sur les hommes, de préparer les repas ou d’aller
ramasser quoi que ce soit. Maintenant qu’elle vivait seule, elle n’avait plus à
se préoccuper de ce genre d’interdits.
Il n’empêche que j’aurais dû le savoir ! se dit-elle à
nouveau. Mais le temps a passé si vite... Depuis quand suis-je installée dans
cette vallée ? Elle essaya de s’en rappeler, mais les jours se
ressemblaient tellement qu’elle dut y renoncer. Est-il possible que l’hiver
soit beaucoup plus proche que je ne le pense ? se demanda-t-elle, soudain
épouvantée. C’est impossible, corrigea-t-elle aussitôt. Jamais la neige n’arrive
avant que les arbres aient perdu leurs feuilles. Quoi qu’il en soit, il faut
désormais que je tienne un compte exact des jours que je vais passer dans cette
vallée.
Il y a longtemps de ça, Creb lui avait expliqué comment s’y
prendre il suffisait de faire une entaille dans un bâton pour chaque jour
passé. A l’époque, il avait été surpris qu’Ayla suive avec autant de facilité
ses explications. Et il lui avait fait jurer de garder le secret : jamais
il n’aurait dû partager avec elle cette connaissance qui était l’apanage du
sorcier et de ses servants. Et le jour où il avait découvert qu’elle se servait
d’un bâton pour compter les jours entre deux pleines lunes, il s’était mis très
en colère.
— Si tu me regardes du monde des esprits, je
Weitere Kostenlose Bücher