La vengeance d'isabeau
Isabeau resta un moment encore et, jugeant qu’il valait mieux s’éclipser, referma tristement la lourde porte sur sa peine.
Marie ne quitta sa chambre que trois jours plus tard amaigrie et maussade. Elle trouva Jean à quatre pattes, les deux garçons sur son dos, Gasparde battant des mains en criant :
— À moi, à moi !
Cela l’agaça et la gêna en même temps. Elle tourna les talons, enfila un mantel, ses bottines doublées d’hermine, et rabaissa un capuchon sur son visage creusé. Elle avait besoin d’air. Elle franchit le seuil en inspirant à pleins poumons. Le ciel était dégagé. Chaque pas dans la neige fraîche lui coûtait, mais elle n’en avait cure. Elle avança résolument jusqu’au gros chêne et se laissa tomber sur le banc couvert de neige.
— Tu vas prendre froid.
— Je m’en moque, répondit-elle à Jean qui l’avait rejointe.
Il s’agenouilla devant elle, pesneux.
— Je suis navré, Marie.
— Ce n’est pas ta faute, répondit-elle en haussant les épaules. Quand doit-elle accoucher ?
— En juillet.
— Cela fait longtemps qu’ils…
Mais les mots moururent sur ses lèvres. Elle ne pouvait imaginer Constant amoureux d’une autre. Encore moins de Solène.
— Je l’ignore. Ils ont toujours été proches. Autant que peuvent l’être un frère et une sœur. Lilvia aurait désapprouvé cette union. Bertille en est furieuse. Même s’ils n’ont pas le même père, ils sont sortis du même ventre. Je ne comprends pas. Mais peut-être n’y a-t-il rien à comprendre. Les gueux l’ont choisi pour roi. Il lui fallait une reine. Et ils aiment Solène autant qu’ils t’aimaient toi, en cour des Miracles.
— C’est stupide, Jean. Tu sais comme moi que la cour des Miracles n’est qu’une légende, qu’elle n’existe pas davantage que son prétendu roi.
— Ne parle pas comme ça, Marie.
Elle ricana et le fixa sans indulgence.
— Qu’une poignée de mendiants, d’estropiés et de ribaudes se réunissent dans la pourriture d’un cimetière suffit-il à créer un royaume ? Le roi des fous n’est que le chef d’une bande de brigands qui se moquent de la loi pour survivre. Nous le savons tous, Jean. Le reste n’est qu’une fable pour parodier l’esprit des rois. En grandissant, j’ai cessé d’y croire et vu la réalité telle qu’elle est. On peut la masquer, la travestir, lui donner des allures, mais il n’y a qu’une réalité. Celle de nos actes. Et les miens m’ont fait perdre l’homme que j’aimais.
— S’il t’aimait vraiment, il t’aurait pardonné.
— Qu’en sais-tu ?
Il soupira et lança :
— Je vais partir aussi, Marie… Dans les armées du roi.
Il y eut un silence que Marie ne brisa pas. Jean poursuivit :
— Le roi offre trois écus d’or par mois, un hoqueton de livrée, les armes et la promesse d’anoblir qui sera vaillant à devenir officier. Je n’ai pas de titre à t’offrir, pas d’or, pas de promesses, rien qu’un passé indigne de la dame de Vollore que tu es devenue. Quant à mon amour, il est infidèle car la couche des femmes m’attire encore même sous ton propre toit. J’ai donc plus de défauts qu’aucun autre et à ce titre tout devrait m’être refusé. Tu m’as donné pourtant les plus beaux enfants qui soient, Marie, et c’est la seule chose dont je sois fier. Même s’ils ignorent qui je suis, j’ai besoin d’aller chercher pour eux cette gloire que je n’ai pas.
Marie hocha la tête.
— Tu pourrais mourir au combat…
— Nul ne me pleurerait. Ni père, ni mère, ni eux, niIsabeau, ni toi.
— Si, Jean. Tu me manqueras.
Il se pencha sur ses lèvres tremblantes et les embrassa doucement.
— Dieu m’est témoin, Marie, que j’ai tenu nombre de femmes dans mes bras, mais jamais aucune ne m’a autant comblé. Jamais.
— Resterais-tu si je t’épousais ? demanda-t-elle sans voix.
— Non. Mais je reviendrai du combat pour cela, ajouta-t-il en souriant. Ne laisse pas Constant gâcher ton rire, Marie. Tu es si belle lorsque tu ris. Rentrons à présent, ou tu seras glacée.
Elle se laissa emmener. Comme elle franchissait la porte, Gasparde se jeta dans ses bras.
Jean partit le lendemain, et l’hiver passa sur Vollore sans qu’aucune nouvelle leur parvienne. Ce fut un hiver froid que seules l’insouciance et la belle vigueur des triplés égayèrent.
Un courrier de Constant à sa mère lui apprit qu’il s’était
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