La vengeance d'isabeau
la veillée, une voiture s’arrêta devant le château dans une neige tenace qui tombait à gros flocons. Depuis le jardin, deux bonshommes armés de longs bâtons taillés en pointe et affublés d’un nez en bogue de marron semblaient narguer les voyageurs. Les enfançons les avaient fabriqués sitôt la première bourrasque, en bataillant à grand renfort de boules avant de concentrer leurs efforts sur ces nouveaux soldats du roi, comme ils les nommaient.
Marie s’avança sur le seuil, le cœur battant. Elle avait écrit à Jean pour l’inviter à festoyer, suppliant Bertille, à qui elle avait confié son tourment, d’en faire de même avec son fils. Lorsque Constant ouvrit les volets de la voiture, elle faillit s’élancer à sa rencontre, mais Bertille la devança et enroula ses bras aux genoux de son fils.
Constant la souleva et la fit tournoyer en riant aux éclats. Et ce rire jailli du passé apaisa ses craintes.
Jean s’avança il son tour. Les deux garçons se poursuivaient hilares, jouant aux méchants rois dans les pièces du castel. Ils déboulèrent en hurlant par la porte ouverte et s’immobilisèrent net devant la scène. Le man-tel relevé de Jean et son chapeau croulant sous la neige lui donnaient l’apparence d’un malandrin. Malgré la joie de Bertille, les enfants cherchèrent chacun la main de leur mère, et c’est ainsi que Marie accueillit les arrivants. Le cœur entre deux vies.
Jean l’embrassa sur la joue.
— Sale temps, grogna-t-il avant de s’engouffrer au sec.
Elle hocha la tête, sans pouvoir bouger. Constant avait juché la naine sur ses épaules et, malgré ses cris et les tapes rieuses qu’elle donnait à son chapeau, il monta gaillardement les marches au-devant de Marie.
— Bonjour, Marie.
Comme il passait devant Antoine, celui-ci lui décocha un coup de pied dans les tibias, poings serrés sur une sourde colère.
— Lâche ma Bertille, toi ! Gronda-t-il.
Constant soutint le regard noir tandis que Bertille pouffait. Puis, aussi légèrement qu’une plume, il enleva le garçonnet d’une main leste et le coucha sous son bras, malgré ses gesticulations.
Se tournant vers Marie, il lança avant d’entrer :
— Celui-là, pas besoin de demander qui est son père !
Marie se mordit la lèvre et lui emboîta le pas.
Ce fut Bertille qui présenta les enfants aux arrivants, sitôt que Constant l’eut posée à terre après avoir relâché Antoine qui se cacha immédiatement derrière Marie.
— Constant est mon fils, affirma Bertille comme Antoine, rancunier, ne voulait pas saluer son bourreau.
Il écarquilla les yeux puis s’avança vers Constant , soupçonneux.
— Alors pourquoi tu es grand ?
Constant éclata de rire et s’agenouilla devant lui.
— Parce que Bertille me tirait toujours par les cheveux lorsque je faisais des bêtises.
Le regard d’Antoine se fit admiratif, soudain.
— Tu as dû en faire beaucoup, s’exclama Gabriel qui d’une enjambée rejoignit son frère.
— Beaucoup, oui !
Les deux garnements tendirent une main franche à Constant.
— Bienvenue à Vollore, dirent-ils ensemble.
Gasparde, mordillant une main dans sa bouche et tenant une poupée de chiffon de l’autre, s’avança vers Jean qui avait ôté son mantel et achevait de s’ébrouer.
— Et toi, demanda-t-elle en sortant son pouce, tu es qui ?
Marie se racla la gorge. Les deux garçonnets et Constant s’étaient tournés d’un même élan vers Jean.
— C’est votre… commença-t-elle.
— Je suis votre oncle, affirma Jean en se penchant pour enlever Gasparde dans ses bras. Oncle Jean.
Marie lui en fut reconnaissante. Elle voulut ajouter quelque chose qu’elle ne trouva pas. Elle croisa le regard de Constant mais ne sut traduire ce qu’il pensait. D’autorité, Gabriel et Antoine lui avaient saisi les mains et l’entraînaient pour jouer.
Les deux jours qui suivirent laissèrent peu de place à une intimité. Les garçons étaient surexcités. Ils voulaient tout savoir de Paris et du roi. Eux aussi voulaient faire la guerre au méchant Charles Quint et ne comprenaient pas que Jean et Constant ne se soient pas enrôlés dans les armées. Ils assaillaient les deux hommes d’incessantes questions auxquelles parfois ils étaient bien en peine de répondre. Marie, elle, était aux anges. Constant semblait s’entendre à merveille avec eux. Elle avait même surpris Gasparde sur ses genoux, elle si farouche
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