La vengeance d'isabeau
flanc abîmé.
Isabeau compta jusqu’à trois et tous ensemble levèrent d’un même geste tandis qu’Isabeau faisait passer une toile épaisse entre la louve et Philippus.
Engourdi par la froidure du sol de terre battue et le poids de Ma, Philippus se redressa. Déjà l’étrange cortège emportait le brancard, et montait précautionneusement l’escalier. Arrivé sur le palier à son tour, il accrocha le regard de Calvin qui l’attendait, immobile et ennuyé :
— Je n’ai pas eu le temps… commença-t-il.
Mais Philippus l’arrêta d’un :
— C’est sans importance.
Calvin poussa un soupir navré puis s’épancha d’une tape amicale sur le bras de Philippus.
— Le destin est en marche. Suivons-le, ami.
Philippus lui emboîta le pas, le cœur lourd. Il venait une fois encore de perdre sa fille. Il ne perdrait pas Loraline. Quelle que soit son apparence, elle l’aimait toujours. Elle l’avait prouvé par son geste instinctif. Et aussi aberrant que cela puisse paraître, en la serrant contre lui, il avait compris à quel point sa propre existence était un non-sens. À quel point il avait attendu cet instant contre toute raison. À quel point lui aussi l’aimait encore.
En quelques enjambées, il rejoignit Albérie et Constant qui soutenaient la belle tête de la louve.
— Vous êtes un imbécile, Philippus, lui jeta Albérie par-dessus son épaule.
— Je la sauverai, lâcha-t-il pour seule défense.
Désespéré, il fixa son regard sur la chaînette qui tressautait à chaque pas sur la poitrine ensanglantée de Ma, et se mit à prier silencieusement, tandis qu’on l’étendait sur la table de la cuisine.
L’opération fut longue et Philippus assista de son mieux les gestes d’Isabeau. Il n’avait rien demandé lorsque Albérie avait prononcé ce nom que tant de fois il avait entendu entre les lèvres de Loraline. Les explications viendraient plus tard. Il manquait tant de maillons à la chaîne des jours qu’il serait devenu fou s’il avait seulement prêté l’oreille aux murmures de son âme. Il se réfugia donc dans les actes.
Isabeau savait où, comment intervenir. Lui n’aurait pu. Bien sûr, il avait maintes fois vu Loraline soigner les loups blessés dans la montagne, avait écouté, appris leur anatomie de sa bouche. Mais tout cela était si loin. Combien d’humains avait-il perdus sur les champs de bataille, combien d’éclats avait-il extraits pour rien ? Isabeau ordonnait, il obéissait. Peu lui importait de savoir comment elle avait compris qui il était, comment elle le jugeait. Elle transpirait à grosses gouttes. Albérie tenait appliqué un chiffon enduit de somnifère sur le museau de Ma. Lui passait les instruments, tenait les écarteurs, veillait à ce que Jean baissât la lanterne au juste niveau. Il se gorgeait de cette impression d’utilité fictive pour oublier sa peur. Sa peur panique de voir réapparaître la femme sous la louve.
— Si elle meurt, elle reprendra son apparence, lui avait affirmé Albérie en aparté. Priez, Philippus, pour ne jamais revoir son visage.
Il en était terrifié. D’autant que ce visage volé par Chazeron, il l’avait devant les yeux au travers d’Isabeau. Malgré les ans, quelques rides furtives, une nuance à peine plus soutenue dans le regard, elle était un miroir. Un miroir dans lequel il aurait bu toutes les larmes du monde pour oublier le cauchemar des siennes.
— Finissez, je suis épuisée, lui ordonna Isabeau.
Elle souriait, et Philippus se sentit renaître.
— Cousez dans le sens de pousse du poil, comme pour un crâne, ou la cicatrice serait douloureuse, affirma-t-elle encore avant d’éponger son front moite.
Philippus hocha la tête. Isabeau avait annoncé que la balle avait pénétré le flanc droit et rebondi sur les côtes à moins d’un demi-pouce du poumon.
Ma avait eu de la chance. Lui aussi. La balle l’aurait tué.
Il s’appliqua à recoudre la plaie dans laquelle Isabeau avait versé une large rasade de liqueur de pavot. Un sang propre et clair avait jailli à son contact, emportant les dernières saletés.
— Il n’y aura pas d’infection, avait-elle annoncé.
Mais il le savait déjà. Loraline lui avait enseigné les vertus miraculeuses de la plante et l’art autant que les différentes manières de l’utiliser. N’en avait-il pas testé lui-même l’efficacité ? Le bandage achevé, Albérie retira le linge du museau de Ma. Puis ils se
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