La vengeance d'isabeau
s’empara de la main que Huc lui tendait.
— Pas un instant je n’ai cessé de vous aimer. De vous attendre. Je savais que vous viendriez.
Une quinte de toux la releva et l’envoya cracher quelques filets de sang sur le linge déjà souillé posé sur la courtepointe. Lorsqu’elle retomba sur l’oreiller, elle était plus pâle encore, presque translucide. Ses yeux avaient cette teinte vitreuse de ceux des êtres en partance. Marie ne put retenir un sanglot, bouleversée par cette femme qu’elle avait si peu connue pourtant, mais dont l’affection oubliée lui poignait le cœur. Huc lui-même ne parvenait pas à se détacher de celle qu’autrefois il avait faite sienne. Il ne se souvenait plus vraiment s’il l’avait aimée. Albérie seule avait compté, compterait toujours.
Ils attendaient qu’elle recouvre quelques forces. Mais elles semblaient la quitter de seconde en seconde et sa respiration n’était qu’un sifflement craintif et alterné.
— Je vais mourir, Huc. Hélas, je le sens bien qui m’appelle à ses côtés. Il ne me laissera pas en paix. Jamais. C’est mon amour pour toi qu’il n’a pas pardonné, Huc. Mon époux est ainsi fait. Il ne permettra pas que je vous aie retrouvé. Antoinette, mon Antoinette. Entends-moi. Plus près.
Marie se pencha sur ce qui n’était qu’un murmure épuisé et désespéré.
— Tu es la dame de Vollore désormais. La seule. L’unique. En mémoire de moi, par Dieu tout-puissant, sois celle que je n’ai pas été.
— Je le jure, ma mère. Je le jure sur le mal qu’on vous a fait.
Antoinette de Chazeron s’endormit un sourire aux lèvres. Quelques instants plus tard, tous trois quittaient la cellule en silence. Marie ne demanda pas à Huc ce qui l’avait lié à Antoinette. Elle s’en moquait. Elle était venue par devoir, elle s’en retournait avec le sentiment qu’une part d’elle-même se mourait en ces murs. Une part d’elle-même qu’elle ne pourrait oublier.
Trois jours après, un messager l’avertit de la mort d’Antoinette. Alors, le serment qu’elle lui avait fait prit toute son ampleur.
Elle était la dame de Vollore. Elle l’avait toujours été. Depuis sa naissance. Depuis que le cours des choses avait été changé.
Il suffit à Constant d’un regard sur le front douloureux de Marie pour le comprendre. À Paris, Marie ne reviendrait jamais.
13
Novembre 1532 s’étirait. L’Auvergne était sereine, le spectre de la bête s’était éloigné et la vie avait repris son cours.
Marie caressa son ventre rebondi et se laissa aller contre le tronc de l’arbre centenaire qui se dressait au milieu du parc du château. « Le seul rescapé d’une effroyable tempête », avait affirmé Huc. Elle se sentait lasse et anormalement forcie. Sept mois seulement. Albérie lui prédisait des jumeaux. De fait, cette grossesse l’ennuyait. Non qu’elle ne se sentît pas mère, c’était l’identité du père qui lui pesait. Jean. Une fois. Une seule fois de toute son existence. Et tant de conséquences.
Elle soupira et passa une main tendre sur son nombril. Il faisait tiède et sec. Au point qu’on eût pu se croire au printemps. Le chiot qu’elle avait adopté quelques semaines auparavant s’étira sans vergogne sur ses doigts de pied dans une herbe soigneusement fauchée, près de Ma qui l’avait elle aussi pris en affection. Marie ne pouvait s’empêcher de songer à Constant. Au moment des adieux, elle lui avait dit qu’elle l’aimait, qu’elle le voulait à ses côtés, ici, pour toujours. Il avait eu un regard triste et avait répondu : « Tu as choisi ton monde, Marie. Ce n’est pas le mien. » Comme elle insistait, il l’avait toisée : « Je ne suis pas comme mes oncles, Marie. Je n’ai pas l’âme d’un bouffon. » Alors elle s’était tue, ravalant ses larmes. Il avait raison. Même si leur éducation était similaire, sans nom en ce monde un individu ne représentait rien. Il n’en avait aucun à lui offrir et était bien trop fier pour accepter un titre qu’il ne respecterait jamais. Il partit avec Isabeau et Jean, deux mois après les funérailles d’Antoinette de Chazeron.
C’est en apprenant qu’Isabeau était grosse que Marie avait pensé à son propre retard de menstrues. Elle s’était tue. Il était trop tôt pour être sûre. Et puis qu’aurait-elle pu dire ? Elle avait choisi son destin.
— Tout est allé si vite, murmura-t-elle dans le silence du
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