La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
ne pas violer les interdits religieux de la secte. Contrairement à lanégligence fréquente des bouddhistes, la défense
de consommer de la viande et de l’alcool était
très strictement observée, et la violation de cette
défense entraînait la confiscation des biens du
coupable : une moitié était attribuée aux dénonciateurs et l’autre aux fonctionnaires mis en place
par la secte dans les régions où la rébellion avait
permis de chasser les administrateurs impériaux.
Voici un fait qui montre avec quelle passion
farouche les Adorateurs des Démons respectaient les interdits de leur société. Le saint
patron de la secte était un nommé Zhang Jiao 50 .
Aussi le mot jiao , qui signifie « corne », était-il
tabou pour les fidèles et jamais, même au milieu
des pires supplices, il ne leur aurait échappé.
C’est ainsi que le préfet de Taizhou, au Zhejiang,
grâce à la connaissance de ce tabou, put identifier des Adorateurs des Démons : leur ayant présenté une corne de bélier, il ne parvint pas à leur
faire prononcer le nom frappé d’interdit. La
secte proscrivait le culte de toutes les divinités
chinoises et bouddhiques ainsi que le culte des
ancêtres et ne reconnaissait pour dieux que le
soleil et la lune, qualifiés de « vrais bouddhas ».
Les cérémonies funéraires étaient accomplies
selon une coutume spéciale : de chaque côté du
mort, habillé et coiffé selon les rites en usage
dans toute la Chine, se tenaient accroupis deux
membres de la société. « Auras-tu un bonnet
dans l’autre monde ? » disait l’un. « Non »,disait l’autre, et ils ôtaient la coiffure du mort, et
ainsi de suite pour toutes les pièces du vêtement
jusqu’à ce que le corps fût entièrement nu.
« Qu’auras-tu dans l’autre monde ? » disaient
alors les deux compères. « Tu auras une enveloppe de fœtus », et ils l’enveloppaient dans un
sac de toile. Ce mode funéraire si économique
ainsi que les interdits portant sur la viande, l’alcool et aussi sur les banquets constituaient, selon
les membres de la secte, un excellent moyen
d’enrichissement.
Comme le bouddhisme, la nouvelle religion
proclamait que la vie n’est que souffrance, mais
elle admettait que la mort à elle seule apportait
une libération définitive. Ainsi, c’était assurer le
salut de son prochain, hérétique, que de l’occire,
et ceux des sectateurs qui avaient de nombreux
meurtres à leur actif avaient quelque chance de
devenir bouddhas.
Les cultes réguliers, célébrés au grand jour, et
les sociétés secrètes au sein desquelles on trouve
combinés des doctrines de salut individuel et un
messianisme révolutionnaire, représentent deux
aspects nettement distincts et presque antithétiques de la vie religieuse des gens du peuple.
Mais il resterait beaucoup à dire des croyances.
Si, pour l’homme du commun, le monde est régi
par ces puissances naturelles ou faiblement individualisées que sont les divinités des sanctuaireslocaux, puissances dont les bienfaits s’étendent
de façon concrète au territoire et à la collectivité
qui y réside, à un autre niveau, qui n’est plus
celui des pratiques collectives, mais celui des
croyances traditionnelles, l’univers apparaît peuplé d’esprits, de génies, de démons, de revenants.
Certains sont des êtres fantastiques à forme
animale ou humaine, d’autres sont des chiens,
des porcs, des renards métamorphosés en hommes
ou, bien souvent, en femmes d’une beauté extraordinaire, d’autres encore sont de simples revenants, des morts qui ne reçoivent pas les
offrandes qui leur sont dues ou dont le meurtre
n’a pas été vengé. Comment éloigner ces importuns ? Le bruit des pétards, des tambours, des
gongs les fait fuir. On peut aussi les frapper avec
un bâton ou un sabre quand on les aperçoit. Ils
reprennent alors leur forme primitive ou disparaissent. Les branches de saule ou de pêcher,
l’armoise chassent les démons et les pestilences.
Un haut fonctionnaire de passage dans une bourgade du Sichuan en juillet 1177, au moment du
tissage des toiles de chanvre, note dans son journal de voyage que les habitants font brûler de
l’armoise devant leurs portes afin de chasser les
mauvaises influences 51 . Certains procédés symboliques sont très efficaces : dessins de remparts
et de fossés, de boucliers et de hallebardes, dessins de caractères d’écriture magiques. Il peut
être conseillé de placer sur la route des
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