La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
sécheresse,
d’inondation et d’épidémie. A Hangzhou, ce
dieu a son temple sur une des collines du sud de
la ville. On l’appelle « Solidité éternelle », mais
il a reçu aussi de l’empereur un titre plus long et
plus pompeux.
Cette conception formaliste et « administrative » de la religion est assez proche de l’incroyance ou tout au moins elle s’en accommode.
Il existe même, chez les lettrés, une tradition
rationaliste qui remonte haut et dont l’un des premiers représentants fut Xunzi, au III e siècle avant
notre ère. « Si, disait ce philosophe mécréant, les
gens du peuple font des prières pour la pluie et
qu’il pleuve, qu’est-ce que cela prouve ? Rien,
répondrai-je. Tout se passe comme s’il n’y avait
point eu de prières : il n’en aurait pas moins
plu 43 . » Mais, notons-le, c’est aux superstitions
populaires que les fonctionnaires lettrés réservent généralement leur mépris ironique. Certains
administrateurs trop zélés vont même parfois
jusqu’à faire démolir des sanctuaires locaux, à
faire abattre des arbres sacrés. Mais la plupart
ont la sagesse de s’abstenir de pareils sacrilèges
par crainte des réactions paysannes.
Le rationalisme des lettrés est tempéré de
tolérance et les mesures de répression ne visent
d’ordinaire que les sociétés secrètes et les cultes
dont les implications politiques peuvent être
graves. Quant au bouddhisme, dont la puissance
et la richesse avaient suscité jadis, sous la dynastie des Tang et antérieurement, un fort courant
anticlérical, il attire encore les sarcasmes de
lettrés à l’époque des Song. Sans doute l’hostilité a-t-elle perdu de sa violence avec le
déclin de l’influence politique et économiquedes communautés bouddhistes, mais l’antipathie
intellectuelle est restée, et l’opposition s’est
même accentuée sur le plan idéologique. Comme
l’indiquent maintes anecdotes, il est de bon ton,
dans certains milieux des hautes classes, d’être
antibouddhiste. Un hôte du célèbre écrivain du XI e siècle, Ouyang Xiu, qui vient d’apprendre
qu’un des enfants de la maison porte le nom de
Frère Moine, s’en étonne. « Comment, dit-il en
plaisantant au grand lettré, avez-vous pu donner
un pareil nom à votre fils, vous dont les sentiments à l’égard du bouddhisme sont bien connus ?
— Mais, réplique l’autre en riant, n’est-il pas
d’usage de donner aux enfants, afin de faciliter
leur croissance (pour éviter le mauvais œil), des
noms d’enfance méprisables, tels que chien,
mouton, cheval 44 ? »
La raillerie peut prendre un tour plus raisonneur : « Après la mort d’un proche, dit un auteur,
les laïcs qui ont foi dans le bouddhisme font
célébrer des services funèbres tous les sept
jours jusqu’au quarante-neuvième jour qui suit
le décès. Ils pensent que s’ils agissent ainsi, les
méfaits des défunts sont abolis et que, sinon,
les morts vont aux enfers et y subissent d’horribles supplices. Or, après la mort, le corps
tombe en pourriture et l’esprit se dissipe dans
les airs. Quels supplices pourraient donc subir
les défunts ? » « S’il n’y a point de paradis ni
d’enfers, dit un autre, tout est dit. S’il y a desparadis, il est normal que les gens de bien y
renaissent. S’il y a des enfers, il est juste que les
méchants y soient précipités. Par conséquent,
adresser des prières aux Bouddhas en faveur de
ses parents défunts, c’est considérer ses père et
mère comme des sacripants et des vauriens 45 . »
Cette opposition des lettrés au bouddhisme ne
se manifeste le plus souvent que dans le cadre
des croyances individuelles. En effet, le culte
officiel ne dédaigne pas de faire appel à l’occasion au concours des divinités bouddhiques. S’il
y a là, de notre point de vue, une inconséquence,
c’est parce qu’en Occident, le domaine de la
religion est partagé entre des doctrines dont le
contenu et l’inspiration sont nettement distincts.
En Chine, au contraire, ce n’est point au niveau
des doctrines que se situent les oppositions, mais
à celui des différents contextes dans lesquels
apparaît la vie religieuse : culte officiel, religion
familiale, cultes locaux, régionaux ou villageois,
professionnels dans le cas des corporations,
cultes des sociétés secrètes, et, dans chacun de
ces contextes, les doctrines importent peu. La
cour charge des communautés bouddhiques et
taoïstes, moyennant de riches
Weitere Kostenlose Bücher