La vie quotidienne en chine: A la veille de l'invasion mongole (1250-1276) (Picquier poche) (French Edition)
que de savoir
accorder sa conduite à la hiérarchie complexedes devoirs. Seuls quelques grands Sages de
l’Antiquité parvinrent dans ce domaine à une
parfaite maîtrise.
Cependant, les relations familiales telles
qu’elles existent dans la famille idéale sont le
fondement de toute la morale, et le droit lui-même, dans toute sa structure et le barème de
ses peines, n’en est que l’expression codifiée.
D’après le Code des Tang, dont les dispositions
générales sont encore en vigueur au XIII e siècle,
ceux qui lèvent la main sur leurs parents ou
grands-parents méritent d’être décapités. Ceux
qui frappent leurs frères et leurs sœurs aînés sont
condamnés à deux ans et demi de travaux forcés, mais ceux qui frappent leurs cousins plus
âgés reçoivent seulement cent coups de bâton.
Un père qui brise les os de son fils en lui administrant une correction un peu forte est passible
d’une moindre peine que s’il avait infligé le
même traitement à un étranger. Un maître qui
bat à mort son serviteur ne mérite qu’un an de
travaux forcés, mais un serviteur qui tue son
maître accidentellement est condamné à la mort
par étranglement 1 .
Fondement de la morale, les relations familiales sont aussi le fondement de la vie publique.
Elles expriment de la façon la plus parfaite un
type de rapport unique qui se rencontre dans
toutes les formes de relation sociale : celui d’inférieur à supérieur, d’obligé à bienfaiteur. Sielles n’excluent pas l’affection, on ne peut dire
que l’affection leur soit essentielle. Le sentiment
familial est à la fois plus fort et plus diffus que
nous ne serions tentés de l’imaginer. Le respect
dû aux parents ne s’adresse pas à eux en tant
qu’individus : il répond à une sorte de culte qui
fait abstraction de leur personnalité et préfigure
déjà le culte des ancêtres. C’est un sentiment
anonyme, impersonnel et éminemment transférable. La grande famille où cohabitent plusieurs
classes d’âges enseigne aussi la bonne entente.
Si, malgré les occasions multipliées de frictions
– surtout entre les femmes chez lesquelles éclatent
si fréquemment des querelles suscitées par la
jalousie ou la mésintelligence –, la paix règne
dans une nombreuse famille, les fonctionnaires
locaux enverront un rapport à la cour pour faire
connaître la vertu exceptionnelle du chef de
famille. De petits miracles, des faits symboliques viendront parfois confirmer cette haute
vertu (petits gorets et petits chiens nourris par la
même mère, corbeaux et pigeons logeant dans le
même nid), et la demeure méritera d’être signalée aux passants par quelque panneau.
En somme, la grande famille est l’école idéale
de la vie en société, car la société entière ne doit
sa cohésion qu’aux relations d’homme à homme
et il n’y a pas de principe abstrait qui la gouverne. De là, un besoin très vif chez tous de se
dévouer à un plus puissant en escomptant saprotection et de se lier à ses égaux par des
échanges de présents et de services. L’individu
ne peut vivre isolé. Plus il possède de relations,
plus sa famille en possède elle-même, plus sa
dignité est manifeste à ses yeux et à ceux des
autres, plus grand est son sentiment de sécurité.
Non seulement tous ceux qui portent le même
nom de famille – et il n’y a guère qu’une trentaine de noms de famille courants – se sentent
liés par des devoirs mutuels, et le sentiment de
leur affinité les empêche de contracter des
mariages, mais chacun peut se créer des liens de
parenté artificielle avec un étranger, l’intégrer à
sa famille ou en faire son frère juré. La société
dans son ensemble n’est qu’un vaste réseau de
relations de famille à famille et d’homme à
homme. Surtout lorsqu’elle est puissante, la
famille chinoise est un organisme tentaculaire.
Voilà des généralités qui restent le plus souvent valables. On s’efforce partout d’imiter les
règles de vie, la morale, le comportement des
hautes classes. Mais la grande famille des hautes
classes n’est pas à beaucoup près le seul type de
famille représenté en Chine. Suivant les régions
et les milieux sociaux, l’unité familiale est plus
ou moins étendue, sa cohésion plus ou moins
forte. Les cataclysmes naturels et la misère, les
guerres et les invasions peuvent la réduire à
deux ou trois membres et multiplier le nombre
des isolés. Ainsi, la grande famille ne paraît
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