La ville qui n'aimait pas son roi
il pourrait lui envoyer une fléchette de fer dans la gorge.
Le mercredi, Caudebec revint avec un engin dont le mécanisme à ressort n’avait guère de puissance mais qui était certainement
mortel à deux ou trois toises. Nicolas l’attacha sous son bras droit, invisible dans la houppelande, et s’entraîna à le déclencher
de la main gauche. Le carreau de fer était court mais perçait un morceau de bois large d’un demi-pouce.
Le jeudi, Poulain et Hauteville restèrent ensemble mais leur attente fut vaine, car Louchart ne se montra pas. Comme ils rentraient le soir, terriblement abattus et mortellement inquiets pour leurs épouses, ils aperçurent dans la rue de Jouy un homme en manteau rouge qui semblait attendre. Se pouvait-il que ce soit un envoyé de Navarre? Intrigué, Olivier s’approcha et reconnut l’épaisse barbe qui encadrait le regard audacieux et calculateur de M. de Rosny!
Ce dernier le reconnut aussi, malgré ses hardes de miséreux et sa barbe en broussaille, pourtant il ne dit mot et détourna
la tête. Rosny avait l’habitude des missions secrètes.
— Suivez-moi, monsieur, lui glissa Olivier en se retournant pour revenir vers ses amis avec une indifférence forcée.
Au carrefour avec la rue Percée, il entraîna Rosny dans un petit passage entre deux maisons, tandis que Caudebec et Nicolas
se rendaient directement dans le cabaret. La traverse conduisait aux anciens jardins de l’hôtel du prévôt transformés en vergers
et potagers. Ils arrivèrent ainsi au pied d’une échelle que Nicolas avait placée à la fenêtre arrière de leur chambre. Ainsi,
en cas de danger, ils pouvaient fuir rapidement, et à l’inverse ils pouvaient recevoir discrètement des visiteurs. C’était d’ailleurs le chemin qu’utilisait
Venetianelli.
Dans la chambre, Rosny fut fêté, accolé, embrassé, et on le laissa s’expliquer tandis que Poulain lui servait du clairet frais
dont il avait pris un pichet en montant.
— Si je m’attendais à vous voir, monsieur! lui dit Caudebec.
— Vous auriez dû! Auriez-vous oublié la devise des Rosny : Quo Jussa Jovis : Je vole où Jupiter m’envoie! M. de Mornay a porté votre mémoire à Mgr le roi de Navarre, monsieur de Fleur-de-Lis. J’étais avec lui à ce moment-là, et ils m’ont chargé de venir vous aider et de vous dire ce qui a déjà été fait. Monseigneur a écrit au roi et à sa mère, leur demandant de tout faire pour sortir Mmes Poulain et de Saint-Pol de leur prison. Si c’est nécessaire, il écrira à Guise, mais pour l’instant il a préféré s’abstenir.
— Il a bien fait, dit Olivier qui songeait à Mme de Montpensier.
— Elles sont toujours dans l’Ave-Maria?
— Oui, monsieur.
Il décrivit la situation des deux femmes, l’impossibilité qu’il y avait de les faire évader et les abominables intentions
du commissaire Louchart.
— Nous n’avons plus beaucoup de temps avant que Louchart ne mette ses menaces à exécution. Nous avons donc décidé de le tuer. Depuis quelques jours, nous cherchons une occasion, ce qui n’est pas facile, car il s’est enfermé dans le Petit-Châtelet. Aujourd’hui, nous étions prêts, mais il n’est pas sorti. Montre ton arbalète, Nicolas…
Nicolas se leva et dressa un bras, appuyant sous le poignet avec l’autre main. Il y eut une sorte de sifflement et une flèche
d’acier s’enfonça dans le mur.
Rosny haussa un sourcil admiratif, puis lança à Olivier ce regard pénétrant, légèrement ironique, qu’il avait toujours avant
d’exprimer son désaccord.
— Que se passera-t-il une fois Louchart mort? s’enquit-il.
— J’aurai sauvé ma femme, affirma Poulain.
— Est-ce certain? Louchart veut s’enrichir, or on peut toujours négocier avec les gens cupides. Tandis qu’une fois mort, votre femme et Mme de Saint-Pol tomberont aux mains de la Ligue et ces fanatiques les transféreront ailleurs. Si c’est à la Bastille, perdez tout espoir. Ce peut même être pire si on les met au For-L’Évêque. Plutôt que de tuer Louchart, proposez-lui une somme qu’il ne pourra refuser.
— Il veut cent mille livres seulement pour Cassandre, mais nous n’avons pas cet argent.
— Offrez-lui le double! Peu importe le montant puisque vous le tuerez au moment de l’échange! Proposez que ce soit la banque Sardini qui paye la rançon, vous attaquerez Louchart quand il s’y rendra.
Ils se regardèrent. Le baron de Rosny avait
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