La ville qui n'aimait pas son roi
saisissait deux escabelles, pour lui et son épouse. Entre-temps Serafina était allée jusqu’à la table où,
après avoir chassé d’un revers de main une colonie de blattes – ces malignes bestes , comme les nommait Rabelais – elle emplit quatre pots de terre pas très propres avec l’un des flacons de vin.
— Vous comptez rester? demanda Il Magnifichino à Olivier.
— Quelques jours, Lorenzino. Nous allons surtout avoir besoin de toi…
— Vous pouvez tout me demander, monsieur, promit l’Italien la main sur le cœur, mais Olivier avait remarqué un léger tressaillement dans son regard.
— Nous sommes mariés, Lorenzino, annonça Cassandre avec espièglerie.
— Mariés?
Il sauta prestement du lit vers l’autre ruelle pour embrasser Serafina qui attendait avec deux gobelets de vin à la main,
cherchant à comprendre qui étaient ces gentilshommes et cette dame que son Lorenzino paraissait connaître si bien. Il prit
les pots pour les porter à Cassandre et à Olivier qui se demandait si l’agitation de l’Italien ne visait pas à cacher quelque
chose.
— Il faut fêter ça! Racontez-moi! lança Venetianelli chaleureusement.
— Depuis quinze jours, dit la fille adoptive de Mornay en prenant le gobelet pour y tremper ses lèvres.
Pendant ce temps Serafina donnait un autre pot à Caudebec et le dernier à son amant.
— Serafina, laisse-nous maintenant, je t’en prie, lui demanda Il Magnifichino en la prenant par l’épaule et lui montrant la sortie.
Elle grimaça tristement, puis fit une révérence aux trois visiteurs et s’enfuit dans l’escalier en regrettant de ne pouvoir
en savoir plus.
— Elle a l’habitude, assura Lorenzino à ses invités en allant jusqu’à la porte pour la fermer. Elle ne sait rien de mes autres activités, ni sa famille, et c’est aussi bien pour elle et pour eux.
— Toute la troupe habite ici? demanda Olivier.
— Oui, monsieur. Mais asseyez-vous, madame, ajouta-t-il, bien que ces tabourets ne soient guère confortables.
Son ton avait imperceptiblement changé.
— Vous ne m’aviez pas parlé d’eux quand nous étions sur la route de Montauban, remarqua Olivier.
— Il n’y a pas grand-chose à en dire. Quand je suis arrivé à Paris, il y a quelques années – je venais d’Italie où j’avais été quelque temps avec les Gelosi – j’ai d’abord joué chez les Confrères de la Passion. C’était la misère pour moi, à cette époque! Puis les Confrères, qui avaient déjà des ennuis avec le curé de Saint-Eustache, ont loué leur salle et leur privilège aux troupes de passage. C’est comme ça que j’ai connu Mario, le père de Serafina, qui dirige la Compagnia Comica . Avec eux, j’ai transformé le rôle de Scaramucci 1 en un capitaine Spavento justicier qui a obtenu un incroyable succès.
» C’était il y a trois ans… Nous recevions alors quantité d’invitations pour jouer nos farces chez des Grands, et en particulier chez les Guise, jusqu’au jour où j’ai eu la visite d’un homme masqué dans la chambre que j’occupais aux Pauvres-Diables. C’était M. de Richelieu, le Grand prévôt, qui m’a proposé contre quelques écus de lui rapporter ce que j’entendais chez les Lorrains.
Olivier connaissait cette histoire, que Venetianelli lui avait racontée durant leur long périple dans le Poitou, le Périgord
et la Saintonge avec Nicolas Poulain. Il leur avait même donné des détails sur sa fuite d’Italie après avoir séduit la femme
d’un doge à Venise.
— Et comment êtes-vous passé des Pauvres-Diables à ce donjon?
— Avant que M. de Richelieu me demande de rejoindre les Gelosi, il y a deux ans, nous logions sous les combles de ce qui reste de l’hôtel de Bourgogne. Une vieille bâtisse humide et pleine de courants d’air où règne un froid insupportable l’hiver et une chaleur infernale l’été, sans parler de la vermine, des rats et des trous dans la toiture par où la pluie se déverse. Mais les comédiens gagnent si peu que nous ne pouvions trouver mieux. De surcroît nous ne jouions pas tous les jours, puisque nous partagions la salle avec les Confrères de la Passion.
» Mais en revenant de Cognac, ma situation avait changé. Sans être riche, je pouvais enfin nous payer un logement décent. Je savais que le donjon, qui appartenait à l’ambassadeur Mendoza, était vide. Après un long marchandage avec son intendant, je l’ai eu pour cinquante livres
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