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La Violente Amour

La Violente Amour

Titel: La Violente Amour Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Merle
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maigre et rougissant profondément, et l’œil fiché en
terre, elle dit à voix fort basse :
    — Monsieur
mon maître, si je deviens votre chambrière, vous pourrez faire de moi ce que
vous voudrez. Je serai toute à vous.
    — Fi
donc, Mamie ! dis-je sans la tancer trop et en baissant la voix, tu
tournerais ribaude ?
    — Ha !
Monsieur ! dit-elle, ses lèvres trémulantes et son œil vacillant, je suis
bien vergognée de vous parler ainsi, car je suis bonne et honnête fille, fort
honorée dans ma rue, pour ce que je laboure prou de mes mains, et vis de mon
salaire. Mais je n’ai plus ni labour, ni pécune, ni pain, et suis au désespoir
réduite.
    — Cependant,
dis-je, vendre ton devant, c’est péché.
    — Monsieur
mon maître, dit-elle en me lançant un regard aigu de son œil bleu, et me
laissant quasi étonné de la vivacité de sa cervelle – si je n’ai pas de
pain, je n’aurais bientôt plus de corps. À quoi donc me servirait de ne le
point vendre ? Et où serait le tant gros sacrifice ? poursuivit-elle
avec un regard qui me donna à penser qu’Alizon, qui était grande clabaudeuse,
n’avait pas fait devant elle l’éloge que de mes seules vertus.
    À cela
tournant le dos et me remettant à marcher dans la chambre, je ne sus que
répondre, étant la proie de sentiments divers où se mêlaient la compassion,
l’appétit, la vergogne, la prudence huguenote, et tant d’autres sentiments en
écheveau si confus que je les distinguais mal. Et il est de vrai que cette
maison de la rue des Filles-Dieu, encore qu’elle fût vaste et commode, m’avait
paru, ces semaines écoulées, fort triste, sans un seul cotillon qui-cy qui-là
virevoltant, sans douce voix aux oreilles plaisamment sonnante et sans les
mille tendres tyrannies auxquelles les femmes, au logis, attentent toujours de
nous assujettir, qu’elles soient mères, épouses ou même chambrières.
    — Mamie,
dis-je à la parfin, il n’y faut pas songer. Que diraient mes gens si une bouche
de plus allait rogner leur part ? En outre, il ne me plaît guère de
barguigner ton joli corps contre du pain.
    — Ha !
dit-elle, de tout ce que je venais de dire ne retenant que la louange, joli, il
ne l’est point tant de présent, s’encontrant si maigrelet du fait de la famine.
Mais laissez-moi manger deux semaines à ma faim, et vous verrez comme il sera
de partout rondi ; un roi même n’y trouverait pas à redire. Et quant à
barguigner, Monsieur mon maître, il n’y a pas tant de mal à cela qu’il y paraît.
D’aucuns ont des pécunes. D’autres, des sermons à vendre. D’autres encore ont
des dagues et des arquebuses pour rober le bien d’autrui. Et moi, qu’ai-je
comme arme : rien, sinon l’aimable charnure dont le Seigneur m’a
habillée ?
    Voilà,
m’apensai-je, une garce fort bien fendue de gueule, et à qui on n’en conte pas,
ayant cervelle entre ses deux oreilles, et de sa complexion vive, maligne,
ébaudissante et, qui mieux est, point ligueuse pour un sol : ce qui me la
rendait, certes, plus aimable et plus proche.
    Cependant,
fine mouche de Paris qu’elle était, me voyant en ma résolution osciller, mon
Héloïse repartait à l’assaut.
    — Quant à
barguigner, Monsieur mon maître, que fîtes-vous d’autre avec ma bonne maîtresse
Alizon, quand pour nourrir son enfantelet, elle vendait son devant ès étuves où
vous la rencontrâtes, comme elle me l’a conté, et cependant, vous êtes devenus
depuis tant grands et fidèles amis qu’elle vous a sauvé deux fois la vie.
    — Quoi ?
dis-je, béant, elle t’a fait ces récits ? C’est grande fiance qu’elle a en
toi, Héloïse !
    — Et
méritée, dit Héloïse en redressant la crête, pour ce que je suis grande
jaseuse, certes, mais grande silencieuse aussi, quand il le faut.
    Cependant, je
me reprenais peu à peu, me reprochant âprement mes faiblesses, et parmi
celles-ci, celle qui veut qu’une garce me trouve toujours à elle pliable et
pitoyable, et après un long silence, pendant lequel, en effet, elle s’accoisa,
me voyant balancer, je dis, à la parfin résolu, mais très à contre-cœur et à
contre-désir :
    — Héloïse,
ma décision est prise. À vrai dire, je t’aime assez, mais pour la raison que
j’ai dite, et qui est pour moi très forte, je ne peux t’employer céans.
    La pauvre
Héloïse ouït ces paroles comme si un juge en ses robes l’avait condamnée au
gibet, et en effet, à voir les choses avec l’œil

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