La Violente Amour
pouvaient – ce qui
était fort peu, se trouvant si maigres, et non point seulement pâles, mais véritablement
verdâtres – leurs prunelles seules brillant d’un éclat inhumain en leur
face décharnée.
Et pour moi,
craignant que ce fussent là ligueux qui m’avaient découvert, et qui en
voulaient à ma vie, je me jetai dans une encoignure de porte et dégainant des
deux mains les dagues à l’italienne derrière mon dos sous le couvert de mon
mantelet, je les brandis devant moi, décidé à faire face. Mais la meute me
passa sans même me voir, leurs dents appétant à tout autre gibier que moi,
comme je vis bien en les suivant, ce qui fut fort facile, leur course étant si
lente, encore qu’encharnée. Et moi m’adressant à un petit gautier à la face
chafouine qui clopinait parmi les derniers, sa main portant, et portant à
peine, tant elle était faible, une scie de menuisier, je lui dis :
— Compagnon,
à qui courez-vous sus ?
— Quoi,
mon maître, dit-il du bout des lèvres, n’avez-vous point vu ? Un
chien !
— Un
chien ! dis-je. Un chien roux ?
— Oui-da !
— Et
qu’a-t-il fait ? A-t-il mordu quelqu’un ?
À quoi le
gautier, m’espinchant de côté, comme si je n’avais pas toute ma raison, fit
entendre un petit rire lugubre et dit :
— Vramy,
c’est bien plutôt nous qui l’allons mordre.
Ayant dit,
soucieux, à ce que je vis, de ménager son souffle pour rester dans la chasse,
il fit de la main un petit geste pour me signifier qu’il n’allait plus ouvrir
le bec. Et moi le dépassant alors, si peu que je pressasse le pas, je
m’encontrai, du fait de mes forces intactes, porté au premier rang de la meute
par ceux qui me talonnaient, lesquels poussaient ces grognements tant faibles
que sauvages qui m’avaient de prime frappé, et huchèrent tout soudain plus
haut, quand le chien roux, en sa trébuchante course, s’engagea dans une impasse
dont une clôture en bois haute de deux toises fermait l’extrémité. La meute des
hommes se brida alors, tant parce qu’elle était hors souffle, que parce qu’elle
voyait bien que sa proie ne lui pourrait plus échapper. Et en effet, si fort
que le chien tâchât de franchir la clôture en sautant, il y faillit, ses pattes
étant si faibles, malgré qu’il recommençât deux fois, à chaque fois sautant
moins haut. Après quoi, il s’affala sur ses hanches, et la tête tournée vers
nous, haletant, mais sans songer aucunement à nous montrer les crocs, il
envisageait les poursuivants de ses yeux bruns, doux et suppliants, en poussant
des petits jappements à vous tordre le cœur. Cependant, voyant que le cercle
autour de lui peu à peu se resserrait, le chien d’un dernier et désespéré
effort, se remit sur pied, comme s’il allait tâcher derechef de sauter la
clôture, mais avant qu’il eût pu même se ramasser sur soi, il fut rejoint, jeté
au sol, égorgé, et tout pantelant, mis en pièces. Je m’écartai pour ne point
être pris dans la masse tourbillonnante et rampante des dépeceurs, mais
cependant demeurai là, cloué au sol par l’horreur de ce grouillement à terre
d’êtres humains se disputant avec une incrédible férocité les morceaux, et
bientôt les lambeaux de la bête, d’aucuns même, à ce que je vis, la nausée me
montant aux lèvres, empoignant ses entrailles à pleines mains pour les dévorer
et se chaffourrer la face de leur sang.
M’arrachant à
la fin à cette scène qui dépassait ce que j’avais pu voir de plus répulsif sur
le champ de bataille, je me retirai de cette impasse le plus vite que je pus et
j’allai frapper rue Trouvevache à l’huis de M. de L’Étoile, et dire par le
judas qui j’étais. L’huis ouvert et refermé sur moi, une chambrière qui me
parut, quant à elle, avoir fort peu souffert de la faim, tant elle était
mignardement contournée et rondie, m’apprit que son maître n’était point au
logis, venant de saillir hors pour gagner le palais, ayant ouï d’un quidam
qu’il y avait là de présent un grand tumulte du populaire.
— Pour
moi, ajouta la mignote, mon maître départi, je suis seule céans et serais bien
aise, Monsieur, d’avoir votre compagnie jusqu’à son retour, pour ce que je
crains que l’huis soit enfoncé par ces furieux, le bruit courant en notre rue
que nous sommes trop gras pour être de la Ligue.
— Seule ?
dis-je, et la famille de M. de L’Étoile ? Et ses gens ? Et son
train ?
— Hier
départis
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