La Violente Amour
de l’imagination, — qui si
souvent manque aux juges – ce qui l’attendait, après cela, était bien pis
que la corde. Mais s’accoisant tout soudain, l’œil sec et la face roide, elle
s’assit sur une escabelle et resta là, quiète et comme résignée, ses deux mains
l’une sur l’autre reposant ; spectacle qui me tordit le cœur plus que des
larmes n’auraient fait.
— Monsieur
mon maître, dit-elle enfin d’une voix terne et basse, si vous ne pouvez me
sauver, sauvez du moins Alizon, car elle est à peine en meilleur point que moi,
étant quasiment au bout de ses forces !
— Héloïse !
criai-je, quasiment hors mes gonds à l’ouïe de cette nouvelle, que ne me
l’as-tu dit plus tôt ?
— Mais je
l’ai dit ! dit-elle, sa voix reprenant quelque force en son indignation.
Je l’ai dit de prime ! J’ai dit qu’elle avait fort peu à se mettre en
bec !
— Héloïse,
dis-je en la saisissant par le bras, et en la ramenant vivement dedans la salle
commune, où mes gens en grande déquiétude attendaient l’issue de cet entretien,
Héloïse, demeure céans un petit. Et toi, Miroul, veille, je te prie, à la
nourrir un brin, et lui baille du vin, je l’ordonne ainsi. Quant à moi, je
cours chez Alizon.
— Quoi,
seul ? dit Miroul piqué.
— Seul.
J’y courus, en
effet, mais non sans prendre le temps de passer chez une affreuse ménine qui
logeait rue de la Cochonnerie – non loin, par conséquent de la rue de la
Ferronnerie où Alizon demeurait – et là achetai à cette gorgone qui
élevait en catimini cinq poules en son grenier (remparé et claquemuré comme une
forteresse) deux quarterons d’œufs que la gueuse me vendit quatre écus. Vous
avez bien ouï, lecteur, quatre écus ! Et toujours courant, je toquai, le
cœur me toquant aussi, à l’huis d’Alizon, laquelle eut à peine la force de m’ouvrir,
tant faible elle était devenue, et dans les bras de qui, ayant posé mes œufs
sur un coffre, je tombai. Ce qui se dit alors de moi à elle, mes larmes, mes
pardons demandés, mes brassées, mes poutounes, mes promesses de la revisiter
souvent, je ne vais point le conter ici, la chose étant aisée à imaginer. En
revanche, ce que je vais dire et qui me frappa et me laissa béant et qui passe
toute imagination – à telle enseigne que ce jour d’hui même, j’hésite
encore à en croire mes remembrances – fut ce que je vis de ces yeux que
voilà, comme je regagnai mon logis, dans les rues de Paris.
CHAPITRE VII
Ayant envisagé
mon Alizon revivre, tandis qu’elle gobait ses deux œufs, ne prenant même pas le
temps de les cuire tant la faim la poignait, je pris d’elle mon congé,
l’assurant que mon aide et secours ne lui failliraient plus d’ores en avant, et
au saillis de l’huis je suivis la rue de la Ferronnerie jusqu’à la rue
Trouvevache, afin que d’y aller visiter mon cher Pierre de L’Étoile que je
n’avais vu de huit jours, ayant été si pressé par mes bargouins. Ceux-ci, pour
le dire en passant, m’avaient été d’un tel et si grand profit, qu’il m’en
laissa tout étonné, pour ce que je croyais le négoce plus difficile, alors
qu’il suffit, pour en voir le bout, d’y mettre ce qu’il y fallait d’âpreté avec
un grain de malice.
Cependant,
comme je m’approchais à quelques toises du logis de mon ami – la rue,
d’ordinaire si passante, étant déserte assez, hormis quelques pauvres
guillaumes et maries, pâles comme des spectres, qui déambulaient à pas petits
en se tenant aux murs, tant ils trébuchaient en leur démarche — je vis me
passer quasiment entre les gambes, un chien roux fort apeuré qui s’enfuyait
aussi vite que le pouvaient porter ses faibles pattes, la pauvre bête étant
maigre comme un cerceau, ses côtes que soulevaient son vent et haleine saillant
sous sa peau. Comme je m’arrêtais, étonné de sa vue, m’avisant pour la première
fois qu’il y avait beau temps que je n’avais plus vu ni chien ni chat en cette
Paris qui d’ordinaire en comptait tant (les Parisiens étant si raffolés de ces
bêtes que les plus pauvres même partageaient avec eux leur pitance), j’ouïs
derrière moi des pas pressés sur le pavé et me retournant, je vis une meute des
gens, qui femmes, qui hommes, les uns armés de cotels, les autres de cordes,
les autres même de broches de rôtisseurs, lesquels, avec des cris tout ensemble
faibles et sauvages, couraient aussi vite qu’ils le
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