La Violente Amour
leur
corps pour s’assurer de cette part au moins de la picorée, craignant qu’on ne
la leur volât. Tout cela accompagné de grognements et grondements qui n’avaient
rien d’humain. Cependant, un capitaine du roi, attiré par le tumulte et
envisageant cette curée, s’avisa de s’en offusquer et donna l’ordre aux
arquebusiers de la faire cesser. Ce qui se fit d’abord avec des cris, et
ceux-ci se révélant inutiles, avec des platissades de braquemarts, et comme
celles-ci ne suffisaient pas, tant l’obstination des dévoreurs était grande,
des coups de pointe et de taille qui en navrèrent plus d’un, d’aucuns se
retirant alors clopinant et sanglant mais gardant en leurs mains crispées
quelques épis de blé, et d’autres ne branlant mie et résolus à se faire hacher
sur place plutôt que d’abandonner leur festin.
Un
commandement du roi advint alors, porté au galop par un cavalier, d’avoir à cesser
de découdre ces malheureux. Quoi oyant, les arquebusiers qui ne les avaient
taillés qu’à contre-cœur regagnèrent les barricades. Mais le répit fut court,
car surgit alors du proche village une troupe nombreuse de laboureurs que le
propriétaire du champ, à ce que j’entendis, avait ameutés, lesquels, armés de
fléaux, et bien plus encolérés et farouches que n’avaient été les soldats,
assommèrent sans merci les pauvres dévoreurs. Je n’en voulus pas voir davantage
et remontai dans la coche, bien marri et meurtri de cette larmoyable scène.
Parvenu à
Saint-Denis, je ne voulus pas me montrer sous ma déguisure à la Cour, me
doutant bien que quelques espions ligueux s’y étaient glissés qui pourraient me
découvrir à mon retour en Paris. Et n’y ayant là, outre le roi, que deux
personnes à connaître mon identité de marchand, Duplessis-Mornay et le Grand
Prieur, je dépêchai Miroul s’enquérir auprès des passants du logis de l’un et
de l’autre. Toutefois m’y rendant, je faillis à les trouver et apprenant de
leurs gens qu’on ne savait quand ils reviendraient, je me trouvai dans un
extrême embarras, ne sachant ni comment atteindre le roi ni, de reste, où me
loger, les auberges, à ce que j’appris, regorgeant d’officiers royaux. Dans
cette humeur et déquiétude, je restai à méditer dans ma coche à l’arrêt dans la
grand’rue de Saint-Denis, la fenêtre de ladite coche ouverte et mon œil
s’amusant à envisager les passants, ou plutôt, à dire tout le vrai, les
passantes, qui filles, qui femmes. En quoi mon peu de vertu fut par le ciel
récompensé, car je tressaillis tout soudain de joie, et mettant ma main sur
celle de Miroul, je lui dis :
— Miroul,
vois-tu cette grande et haute dame cheminer en la me à notre encontre, brune,
l’œil noir, la démarche vive, l’épaule robuste et très superbement
attifurée ?
— Oui-da,
Moussu, c’est morceau de roi !
— Ou de
Lord. Va, mon Miroul, va lui dire que la petite, française et particulière
alouette d’Elizabetha Regina se trouve encagée dans cette coche, en
laquelle, si sa Ladyship consent à venir, ladite alouette chantera à son ouïe
une chanson de quelque intérêt.
— Ha !
Moussu ! dit Miroul, bien la reconnais-je ! Comment pourrais-je
oublier mie le jour des barricades ?
— Va,
Miroul !
Il vola comme
carreau d’arbalète, et si brusquement qu’à sa subite approche, la dame fit un
bond en arrière, et plus vive et véloce que louve, sortit à demi un pistolet de
son ample cotillon, lequel, toutefois, elle remit en sa cache, Miroul à deux
pas d’elle, ayant enlevé ses lunettes pour dévoiler ses yeux vairons. Je la vis
rire alors de ses dents carnassières, et après le chuchotis de Miroul à son
oreille, vers moi à grands pas venir, montant dans la coche et enclosant la
porte en un tournemain derrière elle.
— Quoi !
dit-elle, mon Pierre ! Une déguisure encore ! Par les blessures de
Dieu (juron emprunté à la reine Elizabeth), où vais-je trouver vos lèvres au
milieu de tout ce poil ?
Mais elle les
trouva, cependant tout de gob, me poutounant à la fureur, et à souffle couper,
sa dextre cependant me déboutonnant le pourpoint et la chemise pour me
mignonner le poitrail.
— My
Lady, dis-je, quand elle voulut bien me déprendre, me laissant tout à plein
hors d’haleine, l’alouette est-elle céans pour être plumée et incontinent rôtie
en votre fournaise, ou pour chanter ?
— Vertudieu !
dit-elle en s’esbouffant à
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