La Violente Amour
hors les murs ?
— Eh bien,
dit-il se retournant, et délecté encore de ce « nous », qu’en
ferons-nous ?
— Je les
mettrai en mon emploi au Chêne Rogneux.
— Moussu !
cria-t-il ivre d’allégresse, irons-nous en Montfort ? Je n’osais le quérir
de vous, craignant qu’on n’eût pas l’occasion de s’y rendre.
Et tout
soudain s’apensant que je ne reverrai pas Angelina avec autant de joie que
lui-même sa Florine, son œil s’assombrit un petit et changeant non point tant
de sujet que d’objet, il dit :
— C’est
bien pensé. Ainsi nous assurons-nous du silence de Picard et de Breton jusqu’à
la fin des temps.
Dès qu’il
m’eut laissé seul, étant fort las, je me rendormis et me vis en rêve, la
poitrine de part en part traversée, descendre à reculons le courant de la
rivière de Seine jusqu’à Chaillot, où, la Seine faisant une courbe, mon
corps – comme ceux des victimes daguées de la Saint-Barthélemy –
s’arrêta, pris et tortillé dans les entrelacs des herbes de la rive. Cependant,
je m’encontrai aussi parmi les curieux qui envisageaient de loin mon cadavre,
tandis que des mariniers, avec des perches, le ramenaient sur la berge.
Circonstance qui m’étonna, mais en quelque mode et manière me rassura, me
donnant confusément à penser que je devais être, maugré tout, de ce monde,
puisque je me voyais mort.
Cependant, la
peur de me tromper me tenailla et tabusta assez pour me désommeiller, le cœur
me toquant comme battant de cloche, et le dos de sueur inondé. État qui tant me
vergogna que je ne fus pas long à reprendre la capitainerie de mon âme. Je crus
toutefois – et crus longtemps – en la valeur prophétique de ce rêve,
m’imaginant qu’on allait retrouver à Chaillot le corps de La Vasselière, ce que
L’Étoile m’aurait, à coup sûr, appris à mon retour en Paris où, sembla-t-il, on
parla prou de la soudaine disparition de la dame, puis de moins en moins, puis
plus du tout, la noblesse ayant tant d’autres chats à fouetter dans la détresse
et famine du temps.
Il est vrai
que Miroul avait agi avec une bien avisée prudence, car au saillir de l’hôtel
de la Montpensier, il avait commandé aux deux laquais de rapporter la chaire à
porteurs au logis de La Vasselière et de l’y laisser, ainsi que leurs livrées,
et de nous suivre à dix toises afin que de n’être point avec nous aperçus. Je
renonçai, à la réflexion, à faire figurer leurs patronymes, non plus que celui
de Miroul, sur mon passeport, celui-ci portant mention de mon seul nom et
anonymement de mes « trois commis ».
Ma coche
saillit de Paris par la porte Saint-Denis le 24 juillet au matin, et c’est
à peine si l’officier du guet jeta l’œil sur ledit passeport, pour ce qu’un
grand concours de pauvres gens, en même temps que moi, se pressaient, qui
portant cotels, qui faucilles, afin que d’aller moissonner les champs de blé
les plus proches des murs, lesquels, vus du haut desdits murs merveilleusement
ondulaient sous le soleil chaleureux de juillet. L’officier leur remontra
qu’ils se feraient arquebuser, ou tailler, par les soldats de Navarre. Mais ils
ne voulurent rien entendre, tant l’image de ce beau blé doré contemplé du haut des
remparts les rendait fols. Sourds aux objurgations, aveugles au péril,
brandissant leurs cotels et faucilles, ils criaient si furieusement « Le
blé ! Le pain ! Le blé ! Le pain ! » que l’officier,
craignant un tumulte, les laissa sortir des murs, tant est que ma coche les
précéda de peu à la première barricade des royalistes. Celle-ci par moi
franchie sans encombre ni traverse, je décidai d’arrêter la coche et de
descendre, afin de voir ce qu’il allait advenir de ces malheureux.
À vrai dire,
les royaux parurent de prime décontenancés devant ce pacifique assaut, ces
pauvres gens, maigres comme des cerceaux, n’ayant rien d’hostile, ne criant que
les mots « blé ! » et « pain ! », et leurs cotels
mêmes n’étant point menaçants, brandis par des bras si faibles. Tant est que
les soldats leur laissèrent d’abord le passage maugré leur nombre, qui allait
bien au millier. Ces affamés, se jetant alors sur le premier champ de blé à
leur senestre, s’abattirent sur lui comme sauterelles, arrachant les épis et
les fourrant entiers en leur bec, sans même dépouiller les grains des balles,
voire même couchés de tout leur long sur les tiges, et les foulant de
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