La Violente Amour
jusqu’à ses reins,
lesquels je vis en premier, pour ce que me tournant le dos, elle était
accoudée, dans la douceur du soir à sa fenêtre grande ouverte sur la forêt des
Mesnuls. La pleine lune l’éclairant quasi comme en plein jour, mais d’une
lumière si suave qu’elle effaçait les quelques rides de sa maturité, et çà et
là quelque gris égaré dans sa toison dorée, lui redonnant, par une
miséricordieuse magie, le prime lustre de son âge verdoyant.
— Madame,
dis-je en venant m’accouder à son côtel, le nœud de la gorge tant serré que je
pouvais à peine parler, vous avez souhaité m’entretenir ?
— En
effet. Monsieur, dit-elle sans me regarder et parlant d’une voix étouffée et trémulante.
Ayant dit, incontinent, elle s’accoisa, comme si l’effort d’avoir prononcé ces
paroles avait épuisé sa résolution.
— Parlez,
Madame, dis-je, touché de quelque compassion, et par elle moi-même raffermi.
Parlez sans crainte aucune.
— Eh
bien, dit-elle en reprenant cœur, mais sans oser encore m’envisager, dès lors
que je suis redevenue moi-même, j’aimerais que Florine, me pardonnant mes
méchantises, revienne à mon service. Je l’ai toujours aimée, et elle me manque
prou.
— Mais,
Madame, dis-je, déçu assez de ce début, et ne pouvant croire qu’elle eût quis
de moi cet entretien pour présenter une requête si modeste, êtes-vous tout à
plein assurée de ne plus recommencer à la battre, à la piquer d’épingles et à
la tabuster, comme vous le fîtes à la mort de Larissa ?
À ce nom, elle
tressaillit violemment et à la clarté de la lune, je vis ses lèvres trembler et
ses paupières battre. Cependant, elle se brida et dit :
— J’en
suis tout à plein assurée.
Phrase qu’elle
prononça d’un ton ferme, encore que sa voix fût trémulante.
— Je ne
vois pas, dis-je, comment vous pouvez nourrir la pleine certitude dont vous
vous prévalez.
— Monsieur,
dit-elle en se redressant, comme piquée de mon doute, j’en suis assurée autant
qu’on peut l’être, en ayant fait le serment au Dieu tout-puissant.
— Si j’en
crois votre assurance, Angelina, dis-je d’un ton plus doux, cela voudrait dire
que le temps de vos folies est passé.
— Mes
folies ! dit-elle avec un haut-le-corps, et comme indignée, ha de
grâce ! Monsieur mon mari, ne les appelez pas ainsi ! Ces folies
n’étaient pas les miennes !
— Et de
qui d’autre ? dis-je en haussant le sourcil.
— Mais de
Larissa ! dit-elle en ouvrant tout grands les yeux, comme si elle se fût
étonnée de mon aveuglement. De Larissa, reprit-elle, qui m’habita dès qu’elle
fut morte et me dicta ma conduite.
Réplique qui
me laissa béant, non pas tant par son contenu, que je connaissais jà, que par
son ton d’entière et tranquille conviction.
— Angelina,
dis-je avec patience, cela est pure déraison. Vous ne pouvez être à la fois
vous-même et Larissa, ni dans le même temps, ni même en succession. Si vous
êtes ce jour d’hui redevenue Angelina, c’est que vous n’avez été Larissa que par
la plus calamiteuse des imitations.
— Que
non ! Que non ! Que non ! cria-t-elle avec passion, je ne
l’imitais pas. Elle m’habitait !
À quoi, voyant
bien que je ne la ferais jamais branler de cette certitude, je réfléchis un
petit, et me résignant à entrer dans son jeu (non sans quelque mésaise) je lui
dis :
— Et
quand Larissa a-t-elle cessé de vous habiter ?
— La
chose, dit-elle avec un souci d’exactitude, qui ne laissa pas de me frapper, ne
s’est pas faite d’un seul coup, mais par degrés. Et le premier degré fut
atteint quand vous désunîtes nos sommeils.
— Ce fut,
dis-je d’un ton froidureux assez, le lendemain du jour où vos avances à M. de
Saint-Ange furent de moi connues.
— Mais ce
ne furent pas mes avances ! cria Angelina avec indignation. Larissa
porte seule la responsabilité de cette honteuse et déshonorée conduite !
— Poursuivez,
Angelina, dis-je avec un sentiment d’impuissance et de lassitude. Poursuivez de
grâce ! Vous n’en êtes encore qu’au premier degré de votre séparation
d’avec Larissa. Quand vint donc le deuxième ?
— Quand
vous plaçâtes Florine chez Gertrude. Et le troisième, quand à quelques mots que
vous prononçâtes à votre départir, j’entendis à la parfin que vous me
suspicionniez de n’être pas Angelina, mais Larissa.
— J’ai
nourri en effet ce
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