La Violente Amour
qu’elle était, moustachue et carrée, vraie montagne de
femme, haute de six pieds, mais sans le moindre contour : du tétin comme
sur ma main, et à peine plus de fesse qu’un squelette mais l’âme plus garnie de
vertus qu’un chien de puces.
— Moussu,
dit-elle d’une voix rude et grave, Mademoiselle Angelina n’était point à la
vérité si amalie que je croyais en arrivant céans. Car il se voyait à vue de
nez qu’elle attentait de son mieux de se brider contre son démon, me faisant
après coup excusations pour ses insultes, versant des larmes, priant prou et se
mortifiant.
— Son
démon ? dis-je, l’appelait-elle ainsi ?
— Nenni.
Elle le nommait « ma sœur » ou « ma jumelle » ou
« Larissa ». Elle disait qu’elle était par elle habitée.
— Et
qu’en es-tu apensée, toi ?
— Se peut
que ce soit bien un peu vrai, dit Alazaïs en soulevant ses larges épaules.
Menteuse, elle n’est.
— La
merci à toi, Alazaïs, dis-je en me levant, comprenant bien que je n’en tirerais
rien de plus.
— Moussu,
dit Alazaïs, sans du tout bouger son grand corps, que si Mademoiselle Angelina
est remise dans ses gonds et la Florine pour revenir céans, plaise à vous de me
renvoyer en mon Périgord ; je n’aime point tant les gens d’ici et mon pays
me fait défaut.
— Je le
dirai à mon père, Alazaïs, puisque tu es de son domestique.
Le soleil, en
cette fin juillet, brillait le jour d’un vif éclat laissant place, la nuit, à
une pleine lune dont la lumière suave, bien il me ramentoit, pénétrait fort
avant dans la chambre d’Angelina, tandis que soulevé sur mon coude, je la
regardai dormir, lasse de nos tumultes. Belle lectrice, si vous avez comme moi
contemplé en son endormissou l’objet de votre amour, vous n’avez pu oublier
quel pur ravissement gonfla alors votre tendre cœur ! Pour ce qu’il est
là, l’être que vous aimez, accoisé, quiet, sans yeux et sans oreilles, tout ce
qu’il a de vie ne vivant qu’avec vous, si faible, si doux, si désarmé, si
innocent de ses erreurs, si inconnaissant de ses grâces, ignorant même le
bonheur qu’il vous donne… Ha ! m’apensai-je, mon Angelina, où sont de
présent les souffrances que notre estrangement t’a baillées et celles,
innumérables, que tu m’as afflictées ? Où sont en allés ces mystères, ces
doutes, ces anxieusetés et l’inintelligibilité de ton âme ? Où sont ces
poulpes dans les profondeurs remuant ? Dieu bon ! Si j’avais deux
sols de bon sens, ne devrais-je pas cesser ces interrogations infinies, et me
contenter d’aimer – fût-ce en aveugle – l’Angelina que je vois
là : une île de moi à demi déconnue…
Le plancher
secret de mon coffre fort abondamment garni en vivres (lesquelles je n’eus pas
à aller bien loin pour quérir) il me fallut, quoi que j’en eusse, sonner sans
trop languir le boute-selle pour ce que je nourrissais alors le pensement naïf
que si je délayais plus outre, il pourrait bien m’échoir d’advenir à
Saint-Denis après la reddition de Paris. Tant aveugles sont les hommes, même au
plus proche avenir !
J’endossais
donc derechef ma défroque de marchand drapier et saillis de Mespech à la nuit
tombante, mon père et Angelina m’accompagnant à cheval un bout de chemin,
jusqu’à la sortie de Montfort. Et là, commandant à mon Miroul d’arrêter, je
pris congé de mon père et Angelina, démontant, et me venant retrouver dedans la
coche pour un adieu plus particulier, mon père tenant la bride de sa haquenée,
elle me jeta les bras autour du col et me quit à l’oreille de lui donner une
adresse à laquelle elle pût m’écrire, si elle se trouvait porter un fruit de
moi du fait de nos retrouvailles.
— Angelina,
dis-je, en Paris, cela ne se peut. Mais si vous voulez me dépêcher une lettre
missive, adressez-la à M. de Rosny, Grand’rue en Saint-Denis. Je ne doute pas
qu’il réussisse à me la faire parvenir. Mais, mon Angelina, repris-je,
pouvez-vous donc derechef écrire ? Votre pouce n’est plus travaillé de la
goutte ?
— Il ne
le fut jamais, dit-elle avec vergogne, la paupière baissée, cette intempérie
était un des mensonges où Larissa, morte, m’a contrainte.
Cette réponse
me laissa béant, et pour plus d’une raison. Car bien je me ramentevais avoir
appris le décès de Larissa par une lettre de Florine, laquelle me disait
qu’elle avait pris la plume à la place de Mademoiselle Angelina,
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