La Violente Amour
croire aux saints papistes, afin
qu’ils m’enseignent la patience envers mes amis huguenots ! Turenne et La
Trémoille qui me font des brouilleries ! Duplessis-Mornay qui me boude à
Saumur ! Elizabeth qui me morigène en ses lettres, comme si j’étais son
écolier et elle, ma régente !
Sur quoi,
impatient comme toujours d’agir (car chez Navarre, le soupir et la plainte,
quand ils n’étaient pas gausserie, n’étaient que le commencement d’un projet)
le roi, ses secrétaires étant jà couchés, me dicta une lettre pour Elizabeth,
dont par malheur je ne pus conserver copie, et dont je me ramentois seulement à
ce jour que le miel, de toutes parts, y coulait à flots, chaque phrase n’étant
que compliment extravagant sur la beauté, la jeunesse, les ineffables charmes
et les grâces exquises qui éclataient en la destinataire – laquelle en
1593 avait tout juste soixante ans, mais pour dire le vrai, se voyait à jamais
belle et verdoyante, exigeait qu’on le lui répétât à l’infini, se voulait
toujours blonde et qu’on ravalât en sa présence les brunes plus bas que
boue ; enfin, se proclamait vierge et dans le même temps coqueliquait avec
Essex. Si – comme le lecteur bien le sait – je tiens que pour ce qui
est de complimenter les dames, il faut y aller, non au petit cuiller, mais à la
truelle, Navarre, lui, dans cette lettre, y allait à la pelle. Car je n’avais
jamais vu le roi entasser autant de mignardies, de caresses, de protestations
et de cajoleries, même en ses hyperboliques missives à Gabrielle d’Estrées,
lesquelles couraient la Cour, Dieu sait comment. Jamais Louis XI, écrivant
à son pire ennemi pour le séduire ou le désarmer, n’avait poussé la flatterie à
cette extrême enflure de rhétorique. Cependant de concession sur le fond –
la conversion et Calais – pas la moindre. Le roi, là, se bornait à
remontrer à « sa sœur bien-aimée » qu’il y avait peu apparence que,
même converti, il s’alliât jamais à Philippe II, qui depuis vingt ans, par
le moyen de la Ligue et des Guise, l’avait si cruellement persécuté.
La dictation
de cette suave lettre, que j’écrivais, assis sur un coffre, l’écritoire sur les
genoux, était, à ce qu’il me sembla, bien loin d’être arrivée à son terme quand
on heurta à l’huis d’une certaine sorte qui fit dresser le roi sur son séant et
courre le valet pour déclore.
— Ha !
mon cœur ! Je vous baise les mains un million de fois ! s’écria le
roi, tandis que Gabrielle d’Estrées, s’avançant dans un fort joli balancement
de son vertugadin, vint s’asseoir avec grâce sur la coite, superbement
attifurée de cap à pié, l’unique bougeoir éclairant sa face angélique. Eh oui,
lecteur ! Son beau prénom ne mentait point ! M me de
Liancourt, née d’Estrées, avait, non peut-être le cœur, mais assurément la face
d’un ange, étant, de fait, étrangement semblable au Gabriel de Léonard de Vinci
dans le tableau de l’Annonciation. S’étant assise, non pas tout près,
mais à quelque distance du roi, elle fit un geste empreint d’une bonne grâce
véritablement royale pour lui tendre ses belles mains, lesquelles le roi baisa,
sinon un million, du moins une bonne dizaine de fois, avec une ferveur
d’adoration qui me frappa, comme me frappa aussi le fait que si nous, ses sujets,
nous étions tous aux genoux d’Henri à lui baiser le bout des doigts
(considérant comme insignes honneur et faveur qu’il voulût bien nous les
bailler) il rendait, lui, le même hommage à une femme qui, en apparence du
moins, régnait sur lui aussi absolument qu’il nous gouvernait.
— Sire,
dit-elle, d’une voix plaintive en faisant la plus délicieuse petite moue que je
visse jamais, tant plus j’ai à l’esprit votre présent déportement, tant plus je
suis contre vous dépite.
— Contre
moi, ma chère maîtresse ? dit Henri que ravissaient les mines et
mignardements de Gabrielle et qui mourait d’envie, à ce que je crus voir,
d’imprimer ses lèvres sur la petite moue que j’ai dite. Madame, vous me feriez
tort, si vous croyiez que personne au monde vous puisse servir avec autant
d’amour que moi.
— Si cela
était, dit Gabrielle, vous ne diriez point : « Je ferai », mais
« je fais »…
— Touchant
quoi, mon cœur ? dit le roi en lui souriant toujours tendrement, mais une
ombre de défiance passant dans ses yeux.
— Mais, Sire,
votre
Weitere Kostenlose Bücher