La Violente Amour
modèleront si bien qu’il y a grand danger
qu’après la mort de Henri Quatrième, son héritier ne défasse son œuvre.
— Êtes-vous
donc de présent, mon père, hostile à la conversion du roi ?
— Ho !
que nenni ! dit mon père en levant les bras au ciel, la légitimité d’Henri
ne sera jamais reconnue par l’immense majorité de son peuple s’il n’est sacré
roi de France, et il ne peut l’être, s’il ne se fait catholique. Son abjuration
est donc une nécessité, mais cette nécessité est pour l’avenir infiniment
périlleuse. Votre fournaise avait raison, mon Pierre, « il est dangereux
de mal faire pour faire du bien ».
— Ce
n’est pas my Lady Markby, mon père, qui a dit cela, c’est la reine Elizabeth.
— Cornedebœuf !
La vieille lionne y a vu clair !
Je gardai les
paroles de la reine Elizabeth bien présentes en mon esprit, quand le
25 juillet, je suivais, vêtu de noir comme ses secrétaires, M. de Rosny,
lequel faisait cortège au roi, fort pressé par les princes, les seigneurs, les
officiers de la Couronne, et ses gentilshommes, flanqué en outre, de tous les
côtés, de ses gardes et de ses Suisses, et précédé par les tambours battants et
par douze trompettes fanfarant – la triomphale noise attirant un grand
concours de peuple. Combien qu’il ne fût pas encore neuf heures du matin, la
chaleur en Saint-Denis était extrême et je ne sais qui, possédant le sens du
théâtre, avait, non content d’aligner d’autres gardes le long des rues, jonché
le pavé de fleurs odorantes, lesquelles fleurs je voyais aussi une multitude de
gens brandir aux fenêtres, et jusque sur les toits où ils s’étaient juchés. Les
plus avisés, cependant, n’avaient pas manqué de se glisser, maugré le repoussis
des gardes et au prix de quelques horions et platissades dans l’église
abbatiale de Saint-Denis où le plus beau du spectacle devait avoir lieu.
Le roi s’étant
arrêté devant elle, Rosny poussant hardiment des coudes et du poitrail, et moi
le suivant comme son ombre, arriva à quelques toises de Sa Majesté, laquelle se
détachant des dignitaires qui l’entouraient, s’avança seule et à pas lents vers
le portail.
Je le vis fort
bien alors, et bien qu’il portât sur la face cet air enjoué et joyeux qui lui
était coutumier, il me parut que c’était là un masque et qu’une sorte de pâleur
se laissait deviner sous le hâle qui recouvrait ses traits. Comme le jour de
son mariage avec Margot, en 1572, auquel, vingt et un ans plus tôt j’avais
assisté, le roi avait soigné sa mise, s’étant revêtu d’un pourpoint de satin
blanc chamarré d’or, ses chausses, ses bas et ses souliers étant de mêmes
étoffe et couleur, mais non point son manteau, son chapeau et le panache
d’ycelui, lesquels étaient noirs. Je ne sais si le roi avait voulu ce contraste
entre ce blanc éclatant et ce noir marmiteux et si pour lui, il symbolisait les
sentiments mêlés et contraires qui l’agitaient à cet instant. Pour moi, je fus
frappé d’abord par le noir du panache, cette occasion étant bien la seule où je
vis le roi, dont c’était la seule coquetterie, arborer sur son chapeau, des
plumes de cette sorte, Sa Majesté en changeant souvent et les aimant à s’teure
blanches, à s’teure multicolores, à s’teure de la couleur de la dame qu’il aimait,
mais jamais jusque-là de cette encre mélancolique.
Au moment de
son mariage avec Margot, le roi, étant huguenot, n’avait pu pénétrer dans
l’église (qui était Notre-Dame de Paris) tant est que la cérémonie s’était
faite sur une estrade dressée sur le parvis, au milieu de milliers de manants
qui grondaient comme chiens à l’attache, étant fort hérissés par cet exécrable
accouplement entre une princesse catholique et un suppôt d’enfer. Ce
dimanche, toutefois, que je conte, le roi entra bel et bien en l’église
abbatiale par le portail grand ouvert, mais n’y pénétra pas plus avant qu’une
toise, se trouvant confronté par Mgr l’évêque de Bourges, Primat des Gaules,
lequel, entouré d’une bonne douzaine de prélats, faisait face audit portail
comme s’il en défendait l’entrée, majestueusement assis sur une chaire de damas
blanc, la mitre en tête et la crosse en main. Le roi ôta alors son chapeau d’un
geste ample, le panache noir balayant le sol, et attendit debout le bon plaisir
de l’archevêque, lequel, assis et mitré, dut, à mon avis, savourer
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