La Violente Amour
infiniment
ce moment où l’Église de France faisait sentir au roi l’étendue de son pouvoir.
Le silence
dura bien une pleine minute sans que le roi donnât le moindre signe
d’impatience et sans que l’archevêque ouvrît la bouche. Quand enfin il parla,
ce fut d’une voix pleine et forte, qui résonna sous les voûtes de l’église
abbatiale et fut ouïe jusque sous le parvis.
— Mon
fils, demanda-t-il, qui êtes-vous ?
— Je suis
le roi, dit Henri.
— Que
demandez-vous ? dit l’archevêque, sans l’appeler « sire » le
moindrement, se peut pour montrer qu’il ne le deviendrait, pour l’Église,
qu’après son abjuration.
— Je
demande, dit Henri, d’être reçu en le giron de l’Église catholique, apostolique
et romaine.
— Le
voulez-vous sincèrement ? dit l’archevêque, la face imperscrutable.
— Oui, je
le veux et le désire, dit le roi.
Se détachant
alors du groupe de prélats qui se tenaient debout, Mgr Du Perron s’avança et
posa à terre près de la chaire de l’archevêque un carreau de satin cramoisi, et
sur un signe qu’il fit à Sa Majesté, celle-ci s’y agenouilla. Agenouillement
qui me ramentut celui de Rosny et de moi auprès du lit royal, lequel, à la
réflexion, me parut plus naturel que celui d’un roi aux pieds d’un de ses
sujets, celui-là fût-il un prince de l’Église.
— Mon
fils, dit Mgr de Bourges, faites votre profession de foi.
— Je
proteste et je jure, dit le roi d’une voix forte et ferme, devant la face de
Dieu tout-puissant, de vivre et de mourir en la religion catholique,
apostolique et romaine, de la protéger, et de la défendre envers tous et au
péril de mon sang, renonçant à toutes hérésies contraires à ladite Église.
Ayant bu ce
calice, le roi prit en son pourpoint un papier plié en deux qui était, je gage,
l’abjuration in extenso dont Fogacer nous avait lu des passages, et que
le roi avait signée de sa main. L’archevêque, sans se lever ni ôter sa mitre,
se pencha, saisit ledit papier, y jeta un œil, le serra dans ses robes, et
saisissant un goupillon que lui tendait un clerc, bénit le roi. Après quoi, il
lui tendit à baiser la croix – la première idole que le repenti eût à
baiser – et se levant à la parfin, lui bailla l’absolution et la
bénédiction.
Notre pauvre
Henri n’avait point, cependant, atteint le terme de ses épreuves. Dès que
l’archevêque l’eut absous, les prélats le relevèrent et l’emmenèrent, non sans
grande peine et traverses, en raison de l’immense concours de peuple, jusque
dans le chœur – où le roi répéta son serment dans un silence d’autant plus
étonnant que pour le voir et l’ouïr, des fidèles s’étaient juchés en grappes
jusqu’en haut des confessionnaux et envisageaient cette scène bouche bée, leurs
yeux leur saillant presque de l’orbite.
Sa deuxième
profession faite, et toujours précédé des gardes, des religieux de l’abbaye et
des clercs, le roi passa derrière l’autel où l’archevêque, l’ayant fait
agenouiller à ses pieds, ouït sa confession, lui bailla l’absolution de ses
péchés, et l’ayant ramené dans le chœur, lui fit prendre place sous un dais de
velours cramoisi semé de fleurs de lys. Le roi se mit à genoux derechef, mais
cette fois sur un prie-Dieu. Et là, il ouït la messe et communia.
Revenu au
palais abbatial pour dîner, le roi ordonna de laisser entrer le peuple, lequel,
dans sa liesse, le pressa tant qu’il faillit renverser la table devant laquelle
il se trouvait assis. Toutefois, la dernière bouchée avalée, le pauvre Henri
dut retourner à son dais et son prie-Dieu en l’église pour ouïr de la bouche de
Mgr de Bourges un longuissime sermon à l’éloge de l’Église dans le giron de laquelle –
pauvre brebis galeuse ramenée, guérie, dans le saint troupeau – il avait
demandé à être admis. Après quoi, il ouït les vêpres, les mains jointes et sans
trahir la moindre impatience, lui qui, dans l’ordinaire de la vie, ne pouvait
rester assis plus de trois minutes. Après les vêpres, toutefois, il prit congé
des prélats après qu’il les eut l’un après l’autre baisés sur les joues. Il ne
s’en fallait que d’un qu’ils ne fussent douze, comme les apôtres. Je les
cite : Le cardinal de Bourbon, cousin du roi et qui eût voulu lui-même
saisir le sceptre si on l’avait laissé faire, l’archevêque de Bourges qui avait
officié, et les évêques de
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