La Violente Amour
M. de La Surie.
— Mais,
dit Fogacer, elle fut, elle aussi, résolue. Comment imaginer en effet, que le
chrême de Reims fût le seul dont pût s’enorgueillir la chrétienté ?
— Quoi ?
dis-je, il y en a donc un autre ?
— Assurément.
Innumérables sont les ressources de notre Sainte Église ! Oyez ! Cent
douze ans avant la conversion de Clovis, saint Martin se trouvant ce jour-là
rêveux et songeard, tomba au bas d’un escalier et en fut tant meurtri qu’on le
croyait perdu. Mais pendant la nuit, un ange, descendu du ciel le vint oindre
et frotter d’une huile miraculée, tant est que le lendemain, saint Martin se
leva de son lit, frais comme un gardon et bondissant comme une carpe.
— Révérend
Docteur, dit M. de La Surie, vos images ne s’accommodent point entre elles. Il
se peut qu’une carpe soit tant fraîche qu’un gardon, mais un gardon ne saute
pas comme une carpe.
À quoi l’on
rit.
— Fogacer,
dis-je, ne me dites pas qu’on a conservé cette huile ?
— Si
fait ! À l’église de Noirmoutiers, près de Tours, où elle est fort vénérée
par les fidèles, et d’où on l’alla quérir en pompe pour l’emmener à Chartres
où, sous bonne garde, elle attend le roi.
Ayant dit,
Fogacer nous envisagea tour à tour de son œil noisette, ses sourcils noirs comme
dessinés au pinceau se relevant vers les tempes et l’air fort jubilant de nous
conter ses histoires d’Église. J’observais à cette occasion combien mon
ex-régent d’École de médecine était demeuré fidèle à l’enseignement dont il
m’avait nourri. Car tous ses arguments allaient toujours par trois, semblables
par là aux syllogismes d’Aristote, comme s’il y eût dans ce chiffre trois une
vertu magique et qu’on ne sût pas bien parler si l’on ne marchait pas sur trois
pattes. Moi-même, infecté par cette scolastique, dès que je veux démontrer ou
persuader, je m’aperçois que j’aligne trois raisons, trois exemples ou trois
faits. Deux me paraîtraient maigres, et quatre, bedondainants.
— Monsieur
le Marquis, me dit M. de La Surie, dès que nous fûmes de retour au logis de my
Lady Markby, et en ma chambre retirés, je vous sais un gré infini de m’appeler coram populo [50] Monsieur de La Surie, et de ramentevoir aux gens qui m’ont connu quand j’étais
Miroul, que de présent je possède une terre et que le roi m’a fait écuyer.
Mais, plaise à vous, Monsieur, de m’appeler Miroul, quand nous sommes seuls et
de me permettre de vous appeler Moussu comme devant.
— Ha !
mon Miroul, dis-je mi-riant, mi-touché, je l’eusse fait jà, si je n’avais
craint de te piquer. Mais quant à Moussu, cela sent par trop son valet
périgordin. Dis-moi Pierre, ou mon Pierre, comme ceux de ma famille.
— Ha !
Monsieur, le peux-je ? dis-il, sa voix s’étranglant dans sa gargamel.
— Certes !
Et ramentois, je te prie, que tu es gentilhomme et que tu as gagné ta noblesse
comme moi, dans les périls et par l’épée.
— Mon
Pierre, dit-il, que j’ai rêvé de vous pouvoir adresser ainsi, ayant nourri
souvent le songe d’être pour vous, à la parfin, ce que M. de Sauveterre était
au baron de Mespech.
— Ha !
mon Miroul ! dis-je, la larme au bord du cil, et lui donnant tout de gob
une forte brassée, voilà qui est bien dit. Va donc pour Sauveterre, sauf
toutefois, que tu ne peux, toi, me bailler leçons, la Dieu merci, courant le
cotillon comme fol !
— Bah,
tel maître, tel valet !
— Ou tel
valet, tel maître, Miroul ! En mon logis de la rue des Filles-Dieu, qui se
dévergognait ? Et qui même allait s’inquiétant de ma continence ?
Mais, mon Miroul, ne parlons plus de maître ni de valet. Si comme mon père et
Sauveterre en la légion de Normandie, je ne peux m’affrérer à toi, pour la
raison que nous avons l’un et l’autre femme et enfants, et terres séparées, du
moins, soyons frères par le bon du cœur.
— Mon
Pierre, dit Miroul, lequel dès qu’il se sentait proche des larmes, était
accoutumé à jeter le manteau de Noé sur son émeuvement, il faudrait pour clore
cet entretien une citation latine. Vous vient-elle à l’esprit ?
— Point
du tout.
— Mais à
moi non plus ! dit Miroul en riant.
Le roi fut
sacré le 27 février à Chartres avec un luxe de cérémonies qui offusqua M.
de Rosny, lequel, en vrai huguenot, y vit, comme il le dit à moi-même, des
« badineries ». Mais, pour une fois, je ne donnai pas raison
Weitere Kostenlose Bücher