La Violente Amour
puisque le roi s’était converti, et lui faisait des
promesses dont je m’étais porté garant, l’honneur lui commandait et de se
rendre à lui, et de lui redonner Meaux. Que pour celle-ci il y avait pourtant
quelque difficulté ; pour ce que le parti ligueux céans, quoique affaibli,
restait fort assez pour lui faire des brouilleries, s’il déclarait tout de gob
qu’il baillait la cité au roi. Que donc il fallait y aller à la prudence et sur
la pointe des pieds, et que m’ayant trouvé fort avisé en cette négociation, il
requérait mes conseils, touchant la manière de s’y prendre pour que la ville
coulât du côté du roi aussi doucement que le lait hors d’une jatte.
Je musai
là-dessus quelque temps et à la parfin, mettant nos deux têtes ensemble, nous
façonnâmes un plan qui nous parut mettre toutes les chances de notre côté.
Vitry m’ayant
caché dans un petit cabinet, lequel donnait sur un escalier dérobé, rassembla à
dix heures dans la maison de ville les principaux parmi les habitants et leur
dit :
— Messieurs,
je vous parlerai sans éloquence et sans feintise mais en tirant tout dret de
l’épaule, comme un soldat. Je suis sorti du service du roi à cause qu’il était
huguenot, mais maintenant qu’il s’est fait catholique, mon intention est d’y
rentrer. Je sais bien qu’il en est qui clament que sa conversion n’est pas
sincère. Je ne suis pas instruit assez pour en disputer. J’observe seulement
que Mgr l’archevêque de Bourges a reçu l’abjuration du roi. C’est donc qu’il la
croit vraie. Et pour moi, marquis de Vitry, je ne me crois ni plus savant ni
plus catholique que le Primat des Gaules. Messieurs les magistrats, officiers
et bourgeois de la ville de Meaux, vous me rendrez ce témoignage que je vous ai
toujours traités avec la plus grande considération, sans jamais fourrer mon
nez, si grand soit-il, dans vos affaires, considérant que je n’étais là que
pour vous rendre service et non point pour vous commander. Aussi je ne vous
dirai point : rendez Meaux au roi,, encore que je sache que vous y auriez
de grands avantages.
— Lesquels ?
cria un échevin, ce cri étant incontinent repris par d’autres.
— J’ai là
un papier, dit Vitry en le sortant de ses chausses, où le roi les a fait mettre
tout du long par l’un de ses secrétaires, mais, Messieurs, pardonnez-moi,
ajouta-t-il habilement, je suis sur le départir pour aller rejoindre le roi en
Saint-Denis avec ma compagnie et étant quelque peu pressé par le temps, je n’ai
pas l’intention de le lire…
À ce point, il
fut interrompu par des cris confus, les uns s’indignant qu’il s’en allât et
laissât la ville sans défense, et les autres l’adjurant, au nom de Dieu, de
lire son papier, ceux-ci devenant à la fin si nombreux et si stridents, qu’on
n’oyait plus que leurs voix.
— Messieurs !
Messieurs ! dit Vitry avec une bonhomie admirablement jouée. Je vois bien
qu’il faut que je vous contente, et que je vous lise à la parfin ces promesses
du roi touchant votre bonne ville de Meaux. Ce que je ferai incontinent si vous
êtes assez bons pour faire silence.
— Comment
savons-nous que ce billet vient bien du roi de Navarre ? cria un ligueux.
— Monsieur,
cria Vitry, je passerai mon épée à travers le corps du premier qui osera dire
que je suis un menteur !
À quoi il y
eut des rires et des huées à l’adresse de l’archiligueux, lequel, la crête fort
rabattue et sentant bien que le vent allait dangereusement à son encontre,
s’escargota.
— Le roi,
reprit Vitry quand le silence se fit, promet devant Dieu qu’il pardonnera à
tous, y compris aux ligueurs, qu’il maintiendra les manants et habitants de la
cité dans leurs anciens privilèges et religion ; qu’il donnera à Meaux tel
gouverneur qu’elle choisira ; qu’il exemptera la ville de Meaux des
tailles pendant dix ans. Et enfin qu’il anoblira le corps de ville [49] .
Ayant lu,
Vitry remit le papier dans ses chausses et observant que l’assemblée des
principaux se figeait dans un profond silence, n’en croyant pas ses oreilles de
conditions si douces, il reprit, très à la soldate :
— Messieurs,
je vous laisse à délibérer le parti que vous tiendrez pour le meilleur. Voici
les clés de ville que vous m’avez confiées. Faites-en un bon et digne usage.
Là-dessus,
l’un de ses capitaines lui ayant mis l’écharpe blanche du roi, il salua
l’assemblée et sortit
Weitere Kostenlose Bücher