La Violente Amour
mais
connaissant fort bien mon bien-aimé maître, et sa bizarre et particulière amour
pour les religieux, elle savait que quiconque portait la bure était assuré, à
toute heure, en tout lieu, de parler au prince : qu’il y fallait seulement
un plausible prétexte, lequel elle trouva en introduisant Clément à la
Bastille – où elle seule avait le pouvoir de le faire entrer – pour
le faire prendre langue avec les royalistes parisiens que les Seize, dès
le commencement du siège de Paris, y avaient emprisonnés, et nommément les plus
marquants et connus d’entre eux, le président Du Harlay, et Paul, l’aîné
d’Antoine Portail, chirurgien du roi. Après quoi Clément rendit visite à M me Portail (que les Seize n’avaient pas cru bon de serrer en geôle) pour
lui porter charitablement des nouvelles de son fils. Dans la réalité des faits,
ces entrevues avaient pour fin de fournir à Clément, au cas où on le
questionnerait à Saint-Cloud, des réponses véridiques et crédibles sur ces
personnes.
Le premier
président Du Harlay, connu à Paris comme un royaliste resté adamantinement
fidèle au roi dans les dents d’une impiteuse persécution des ligueux et des Seize, était pour cette raison tenu à grand compte par le roi. Son nom, à
lui seul, pouvait déclore les portes ; une lettre de lui, faciliter
l’entrant dans la chambre royale. Clément n’ayant rien dit au président Du
Harlay que de très banal en sa visite à la Bastille, cette missive, comme le
lecteur s’en est bien apensé, n’existait point. Mais la Montpensier, dont
l’hôtel était devenu depuis un lustre une sorte de manufacture où se
fabriquaient les faux papiers et les fausses nouvelles dont elle inondait
Paris, la fit forger par ses secrétaires en écriture italienne, laquelle,
imitant les caractères imprimés, était aisée à contrefaire. Le modèle en fut un
papier de la main du premier Président et saisi sur lui, quand on l’avait serré
en geôle.
Le procureur
de La Guesle, qui a lu le billet prétendument adressé au roi par Du Harlay, me
l’a récité de mémoire. Le voici :
Sire, ce
présent porteur vous fera entendre l’état de vos serviteurs et la façon de
laquelle ils sont traités, qui ne leur ôte néanmoins la volonté et le moyen de
vous faire très humble service, et sont en plus grand nombre peut-être que
Votre Majesté n’estime. Il se présente une belle occasion, sur laquelle il vous
plaira faire entendre votre volonté, suppliant très humblement Votre Majesté
croire le présent porteur en tout ce qu’il dira.
Ce faux était
fort habile, et destiné à éveiller au plus haut point l’intérêt de mon maître,
la Montpensier n’ignorant point que le roi nourrissait l’espoir de se faire
ouvrir une des portes de la capitale par les royalistes parisiens, raison pour
quoi ceux-ci avaient été embastillés en grand nombre dès le début du siège.
Cependant, la
ville étant circuite par les armées des deux rois, il fallait, d’autre part,
pour Jacques Clément, traverser les avant-postes royaux sans être ni repoussé
ni capturé. La Montpensier s’avisa alors de dépêcher Clément au comte de
Brienne, lequel étant royaliste, mais mol et nonchalant, avait reçu la faveur
d’être non point serré en Bastille, mais consigné en une chambre au Louvre,
entouré de ses serviteurs, de son chapelain et de son secrétaire.
Le petit
jacobin, bien chapitré par la Montpensier, s’en alla donc trouver ceux-ci et
quit d’eux un passeport du comte de Brienne pour se rendre à Orléans, où
l’appelaient, disait-il, les intérêts de son ordre. Le secrétaire lui eût
refusé le papier, mais le chapelain insista pour qu’il l’écrivît, arguant que,
s’agissant d’un religieux, Monsieur n’en ferait pas difficulté. Et en effet, le
passeport écrit, Frère Jacques fut introduit au comte de Brienne, lequel
achevait de dîner et mangeait du fruit, et qui, incontinent, sans poser de
questions, signa le document, tant l’état et la qualité du moine lui donnaient
fiance en sa véracité.
Un fol zélé,
une robe de bure, une fausse lettre du président Du Harlay, un vrai passeport
délivré par un étourdi, tels furent les parties et ingrédients dont la sœur du
Guise composa son régicide. Les voies du démon, comme celles de Dieu, sont
simples, surtout quand s’y ajoute la simplesse de son outil. Qui se fût défié
de ce petit moine chétif, humble, génuflexant,
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